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autonomes, mais solidaires. C’est là l’organisation définitive vers laquelle le peuple argentin s’achemine à travers les erreurs et les passions où son inexpérience l’entraîne.

Si les nouveaux fédéraux ne différaient guère des anciens unitaires comme doctrine de gouvernement, ils n’en avaient pas moins, quand ils prirent à leur place la direction du pays, un passé fâcheux à faire oublier. D’abord, la république ne leur devait aucune gratitude pour les surprenans progrès qui avaient fait en un demi-siècle d’une vaste, mais pauvre et sauvage colonie espagnole, une jeune nation pleine d’avenir. La guerre d’indépendance, depuis le premier coup d’éclat à Buenos-Ayres jusqu’au départ du dernier soldat espagnol du continent sud-américain, avait été menée par des chefs nettement unitaires. Les sages institutions élaborées depuis la proclamation de la république jusqu’à la chute de Rivadavia, c’est à des unitaires qu’on les devait. Avec l’avènement de Rosas, on retourne au chaos, on tombe dans la nuit. Le noble emblème du drapeau bleu et blanc orné d’un soleil, où les paladins de l’émancipation avaient symbolisé l’astre de la liberté montant dans un ciel orageux et dissipant les nuages, devient une amère dérision. Or cette époque lugubre avait pour devise une formule officielle qui s’inscrivait en toutes lettres en tête des actes publics, des décrets, des proclamations. C’était celle-ci : Mort à ces sauvages, à ces dégoûtans unitaires ! Mueran los salvages, asquerosos unitarios !

Quand ces êtres dégoûtans ressaisissent la prépondérance, dans la province de Buenos-Ayres d’abord, puis dans toute la république, c’est comme une nouvelle aurore. La vie renaît, les perspectives de l’avenir s’éclairent. On s’appelle, on se répond, on sent qu’on avance. En effet, on avançait rapidement. Le général Mitre, par une politique libérale et ferme, par une guerre extérieure glorieuse, concilie et pondère les forces disparates, dégage nettement des antagonismes locaux l’idée de patrie. Sarmiento continue cette œuvre dans le même esprit en y ajoutant comme contingent personnel sa préoccupation constante des progrès de l’enseignement, surtout de l’instruction primaire. La république sortit de leurs mains transformée. C’étaient des unitaires pur-sang.

Du docteur Avellaneda, qui vint ensuite, on ne saurait dire s’il était unitaire ou fédéral. Il fut tour à tour l’un et l’autre. Il semble qu’il ait été simplement avellanédiste. En tout cas, s’il était de famille unitaire et fils d’un patriote dont la tête fut promenée au bout d’une pique dans les rues de Tucuman par ordre de Rosas, il fut le premier président qui arrondit sa fortune au pouvoir, ce qui est un trait bien fédéral. Malgré les doubles fonds de sa politique, la