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elles essayèrent trois fois de la forcer, déployèrent beaucoup de vaillance et de ténacité, et furent repoussées avec des pertes énormes.

Reste à savoir si se cantonner dans une place d’armes et laisser aux adversaires le temps de s’organiser est de bonne stratégie révolutionnaire. Il ne le semble pas. L’insurrection commit évidemment plusieurs fautes. Elle ne se saisit pas avant le lever du soleil du président, du général Roca et du ministre de la guerre, ce qui lui eût été facile. On assure que c’était là le plan et qu’il n’a pas été mis à exécution parce que, pour des causes restées obscures, le signal convenu n’aurait pas été donné. Elle s’amusa à se fortifier au lieu de pousser une attaque à fond sur la caserne du Retiro, où la concentration des troupes du gouvernement ne se fit que tard, et où tout était dans le plus grand désarroi. Elle perdit une seconde occasion de balayer ses adversaires quand après un premier assaut ils se retiraient démoralisés. Elle manqua d’élan et de prévoyance, resserra son action au lieu de l’étendre, laissa libres, quand rien n’était plus aisé que de les couper, les communications par télégraphe et par voie ferrée avec le reste du pays. Elle ne profita pas, pour occuper les lignes ferrées du littoral et empêcher l’arrivée de renforts, du soulèvement de la flotte. Elle lui fit trop tard le signal de canonner la caserne du Retiro, point de concentration des troupes et située de telle sorte sur le fleuve que, au premier obus envoyé par l’escadre, elle dut être précipitamment évacuée. On a dit, et c’est possible, que sur ces divers points les directeurs politiques du mouvement n’ont pas fait droit aux ardentes exhortations des chefs militaires. Les uns et les autres gardent sur ce point la discrétion dont les Argentins, tout exubérans qu’ils paraissent, ne se départissent jamais sur de pareils sujets. D’ailleurs, ces fautes, d’où qu’elles viennent, disparaissent dans le résultat final.

Le docteur Juarez Celman tomba de son haut quand il apprit le soulèvement. Justement, son frère Marcos Juarez, le président du Panai, était en visite chez lui. Il était venu lui prêcher la politique de résistance. Il se réfugia d’abord au Retiro, croyant que les insurgés étaient déjà maîtres du palais du gouvernement. Il y fut bientôt rejoint par le ministre de la guerre, par le vice-président, docteur Pellegrini, qui, solidaire par situation d’une politique qu’il réprouvait, la défendit avec sa bravoure habituelle et conduisit lui-même les troupes au feu, enfin par un petit nombre de fidèles, l’oreille basse. Le général Roca y apparut, donna des conseils militaires, et à la tête de quelques forces de police s’en alla défendre le palais du gouvernement, que personne n’attaquait. Depuis sa récente arrivée d’Europe, il entretenait avec son beau-frère des relations assez froides. Il semblait rougir de son successeur et