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colonel Borgnis-Desbordes les avait assurés jadis que, grâce à nous, ils ne retomberaient jamais sous le joug des Toucouleurs, que nous les délivrerions de leur grand ennemi ; ils nous accusaient d’avoir manqué à nos engagemens. « Les Bambaras sont impatiens, leur disait l’an dernier le capitaine Ruault, envoyé en mission dans le Bélédougou, et, voyant que nous n’attaquions pas les Toucouleurs, comme ils l’avaient espéré, ils se sont laissé duper par des gens qui leur ont fait croire que nous voulions nous allier avec leurs ennemis. Il ne faut pas écouter ceux qui tiennent de pareils discours. Ce sont des émissaires des Toucouleurs, qui ont intérêt à jeter la discorde entre les Bambaras et les Français. Le moment est proche où nous vous prouverons que nous sommes véritablement vos amis. Les Bambaras sont braves, mais leurs divisions les rendent impuissans. Il faut qu’ils se groupent tous autour d’un protecteur plus puissant qu’eux ; ce protecteur, c’est nous. » Les Bambaras ne disaient pas non : un fétichiste ne dit jamais non ; mais ils n’en pensaient pas moins. Ils sont fermement persuadés que les promesses sont des femelles, que les effets sont des mâles, et ils attendaient, pour nous croire, de nous avoir vus à l’œuvre.

Menacés de tous côtés, sans avoir d’autre appui que des alliés douteux et méfians, notre situation devenait de plus en plus précaire. Les deux souverains musulmans pouvaient nous attaquer à la fois au nord, à l’est et au sud, et s’ils avaient manœuvré avec décision, ils auraient réussi peut-être à balayer nos postes, à nous chasser du Soudan, à nous refouler sur Bafoulabé et sur Kayes. Il fallait à tout prix les prévenir, et déjà, dans sa campagne précédente, le colonel Archinard s’était préparé à l’inévitable lutte en intimidant les Toucouleurs du Fouta-Djalon, en créant le poste de Kouroussa, en contraignant Samory à évacuer ses territoires sur la rive gauche du Niger. Par bonheur, Samory était alors en guerre avec son voisin, le roi Tiéba. Pour ajouter à ses embarras, le colonel avait donné à Tiéba d’utiles conseils et lui avait fourni quelques subsides. Certain désormais que Samory, à qui il avait procuré de l’occupation, ne pourrait le gêner pendant quelques mois au moins, il se décida à frapper le grand coup. Il en est de la guerre comme du théâtre ; l’art de la préparation y est presque tout, et c’est là-dessus qu’on juge les commandans supérieurs comme les auteurs dramatiques.

Si la préparation fut excellente, le plan put sembler très audacieux. La combinaison la plus naturelle et la plus sage en apparence était de porter tout d’abord la guerre dans les provinces de l’ennemi les plus rapprochées, d’attaquer Koniakary, la grande citadelle des Toucouleurs dans le Diombocko, puis d’entrer dans le Kaarta et de marcher sur Nioro. Après avoir chassé Ahmadou de sa résidence, on eût avisé aux moyens de déloger son fils du Ségou. Ce plan si rationnel offrait de graves inconvéniens. Il était fâcheux de laisser à Ahmadou,