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celui de René Caillié, le premier Européen qui rapporta une description de Tombouctou. Laing y était entré, mais il avait été massacré à la sortie. Depuis Caillié, Tombouctou n’a revu que deux chrétiens, Barth et Lenz ; des intervalles d’un quart de siècle ont séparé chacun de ces voyages ; le charme a été rompu l’an dernier, nos canonnières ont mouillé au-dessous de la ville légendaire. Un long temps devait aussi s’écouler avant qu’on renouvelât l’autre exploit du voyageur de 1828 ; Caillié traversa le Sahara, du Niger à la Méditerranée. Il allait, mendiant chez le nègre et chez l’Arabe. « Le pèlerin de la science, dit M. Elisée Reclus, pauvre, déguenillé, malade, se traînant d’étape en étape, ne devait réussir que grâce à sa misère, au mépris des hommes et à la pitié des femmes, » Il appartenait à l’espèce, assez commune chez nous et particulière à notre pays, des voyageurs qui s’aventurent dans l’inconnu sans ressources, qui font misérablement et à petit bruit les grandes découvertes, refaites ensuite par de plus habiles avec beaucoup d’argent, de mise en scène et de fracas. D’habitude, la gloire est pour ces derniers. Cependant le nom de Caillié a survécu ; ses imitateurs ne prononcent ce nom qu’avec respect.

De 1832 à 1848, on constate une relâche dans l’ardeur des explorateurs. Je ne vois guère à signaler que les patientes investigations de MM. d’Abbadie, Rochet d’Héricourt et Lefebvre en Abyssinie. La France emploie toutes ses forces à réduire l’Algérie. Dans l’Europe de Metternich et de l’école de Manchester, les grandes initiatives individuelles semblent endormies. Elles ne se réveillent qu’après la secousse de 1848. Avec la seconde moitié de notre siècle, la marche en avant recommence pour ne plus s’arrêter.

Dès 1849, des missions catholiques se fondent sur le Haut-Nil, au sud de Khartoum ; les missions protestantes de Zanzibar recherchent la source du fleuve et s’avancent jusqu’aux « montagnes de la Lune. » En cette même année, l’Anglais Richardson, les Allemands Overweg et Barth organisent leur expédition commune au Soudan. C’est le voyage capital pour la connaissance de l’Afrique intérieure au nord de l’équateur. Richardson et Overweg n’en revinrent pas ; Barth fut assez heureux pour refaire sain et sauf, à travers le désert saharien, en 1855, ce chemin des caravanes arabes qui l’avait conduit de la Tripolitaine au Soudan, en 1850. Durant ces cinq années, il avait parcouru toute la région située dans le bassin du Niger et du Bénoué, entre le lac Tchad et Tombouctou. Henri Barth était un Allemand de la vieille race, savant, candide, content de peu, consolé de toutes les misères par un spectacle pittoresque ou une impression poétique. Aujourd’hui encore, si l’on veut se former une idée exacte de ce merveilleux Soudan,