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qu’on trouve, quand on l’y cherche, dans les écrits d’un Chateaubriand ou d’un Rousseau, d’un Bossuet ou d’un Pascal, ils l’en ont dégagée, et ils l’ont mise à notre portée. On ne savait pas ce que c’était que le style naturel ; Pascal a paru qui nous l’a révélé, et on en a senti aussitôt tout le prix. Mais en quoi ce style naturel consiste, et s’il y en a quelques secrets que l’on puisse dérober à l’auteur des Provinciales, ce sont les rhéteurs qui l’ont cherché, qui nous en ont indiqué les moyens, qui ont enrichi la langue, si je puis ainsi dire, des « propres » de Pascal. Inversement, dans un autre écrivain, l’auteur du Petit Carême, par exemple, s’il y a trop de vains ornemens, trop de désir de plaire, trop de jolies choses, et généralement plus de souci de lui-même que de son sujet, — ce qui pourrait bien être la définition même de la mauvaise rhétorique, — ce sont encore les rhéteurs qui nous l’ont dénoncé, qui nous en ont dévoilé l’artifice, qui nous ont fait sentir l’abus de la rhétorique dans l’usage de ces procédés mêmes. Je ne puis croire qu’ils nous aient rendu là de si mauvais services ; et qui continuerait leur tâche parmi nous, je n’estimerais pas qu’il y perdît son temps.

Quelques-uns s’en sont avisés, dont on ne se doute pas, parce que nous ne savons plus reconnaître, sous la diversité des mots, la ressemblance des choses. Étant entendu que la rhétorique est un legs du passé, ce qui suffit, auprès de bien des gens, pour la discréditer, nous ne faisons aucun cas des rhéteurs, mais nous en faisons un tout particulier des stylistes. Est-ce que pourtant Gautier ne faisait pas de la rhétorique, — et de la bien mauvaise, pour le dire en passant, — quand il écrivait son Capitaine Fracasse ? Est-ce qu’il n’en tenait pas ouvertement école quand il répétait un de ses mots favoris : « Je suis très fort, j’amène cinq cents au dynamomètre, et je fais des métaphores qui se suivent. » On a même si bien retenu le conseil, qu’ouvrez vos journaux, et vous verrez que l’unique mesure qu’il y ait de la valeur du style d’un écrivain, ce n’est pas même la justesse, mais la « cohérence » de ses métaphores. Une métaphore incohérente ! qu’on le renvoie à l’école ! et on ne fait pas attention que l’un des principaux caractères de l’affectation et de la préciosité du style, c’est précisément la « cohérence » des métaphores[1]. Mais la Correspondance tout

  1. TRISSOTIN.

    Pour cette grande faim qu’à mes yeux on expose,
    Un plat seul de huit vers me semble peu de chose,
    Et je pense qu’ici je ne ferai pas mal,
    De joindre à l’épigramme ou bien du madrigal.
    Le ragoût d’un sonnet qui, chez une princesse,
    A passé pour avoir quelque délicatesse,
    Il est de sel attique assaisonné partout,
    Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût.