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Ce n’est point à dire assurément qu’un examen attentif, minutieux d’un budget comme celui de la France soit une œuvre inutile au Palais-Bourbon ; ce n’est pas non plus que, parmi tous ces discours qui se succèdent, il n’y en ait d’instructifs, d’intéressans et même parfois de piquans ; mais il est évident que tout est démesuré, incohérent, disproportionné dans ces discussions toujours ajournées par une sorte de calcul à la dernière heure, qu’on abuse du droit de remettre sans cesse tout en question. Il est démontré une fois de plus que ce travail législatif reste à organiser, que le régime parlementaire est dénaturé par les usurpations incessantes de l’une des assemblées qui se fait du budget un moyen de prépotence dans les affaires publiques, — par l’annihilation de l’autre assemblée réduite à un contrôle le plus souvent stérile, — par une sorte de débilitation d’un gouvernement qui n’est jamais sûr de lui-même. Le fond de tout, c’est une idée fausse des institutions, du gouvernement, de l’administration des affaires matérielles, comme de l’administration politique, comme de l’administration morale du pays.

Qu’on ne s’y méprenne pas, d’ailleurs : le budget a sans doute son importance, il touche à tout, mais il n’est pas tout dans les affaires de la France. Nous entrons visiblement de plus en plus dans une phase où, au bruit monotone de ces discussions budgétaires, s’agite une question plus générale, plus profonde, qui n’est pas d’aujourd’hui, qui, à dire vrai, s’est dégagée de la confusion des élections de l’an passé. Il s’agit de savoir si la politique étroite et partiale qui a régné depuis quelques années gardera l’ascendant ou si elle cédera sous la pression des choses, — si les républicains de parti et de secte qui ont eu le pouvoir poursuivront leur œuvre de passion et d’exclusion, — ou si, par l’entrée des conservateurs dans la république, il se formera des combinaisons nouvelles préparant l’apaisement du pays. C’est précisément ce qui fait l’intérêt et ce qui explique le retentissement des dernières manifestations de M. le cardinal Lavigerie, donnant, dans un toast à la marine française, le signal de la conciliation et de la trêve dans la république. L’intrépide chef des missions africaines ne s’est pas borné à ses premières déclarations ; il a confirmé depuis son toast d’Alger par ses instructions à son clergé, — plus récemment encore, par une lettre décisive à un catholique de France. Et M. l’évêque d’Annecy, à son tour, entrant dans cette voie, s’est empressé d’envoyer son adhésion au courageux prélat d’Afrique. D’autres suivront, sans doute. Ce qu’il y a de plus grave encore, c’est que le pape Léon XIII lui-même ne paraît pas étranger à cette évolution de quelques-uns des chefs du clergé français vers la république.

Assurément, M. le cardinal Lavigerie a su ce qu’il faisait et il n’a pas parlé sans avoir profondément médité sur les événemens du temps.