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on était sûr de retrouver la France à la même place, puisque, victorieuse ou vaincue, elle avait promis d’avance de tenir toujours le même langage.

Il est clair que la conduite de tous eût été différente si, au lieu d’engager l’avenir par une promesse déclamatoire, le roi de France eût laissé entendre qu’on pouvait lasser sa patience et qu’à négliger ainsi l’occasion de mettre à profit son désintéressement, on courait risque de ne plus le retrouver d’aussi bonne composition, en un mot qu’une victoire de plus remportée et une année de plus passée dans les Pays-Bas pouvaient lui donner le goût de n’en plus sortir. Ce langage fermement tenu eût fait réfléchir tout le monde.

Cette attitude était-elle si difficile à prendre pour le successeur de d’Argenson, et quelque scrupule de loyauté devait-il l’en détourner ? Rien, au contraire, n’eût été plus simple et plus légitime. Il suffisait à Puisieulx, sans retirer les offres verbales qu’il avait été porter lui-même à Bréda (et dont la conférence n’avait pas eu le temps d’être officiellement saisie), de leur ôter le caractère de profession de principe et en quelque sorte d’axiome philosophique que leur avait donné son prédécesseur. Il est parfaitement admis par la coutume, comme par le bon sens, que tant qu’une guerre dure, des offres de paix n’ont jamais rien de définitif, et qu’elles peuvent être modifiées à toute heure, si le sort des armes, favorisant une des parties belligérantes, lui donne le droit, en même temps que la force, d’élever ses exigences. Puisieulx pouvait donc parfaitement dire à ses anciens collègues de Bréda : Ou prenez ce qui vous est proposé, ou si nous retournons en champ clos, et que la victoire nous seconde, attendez-vous que de nouveaux sacrifices exigeant de nouvelles compensations ne permettront plus à la France la même abnégation. Ce n’eût point été là, quoi qu’on ait dit, un marchandage indigne de la royauté ; mais bien le seul moyen d’empêcher la générosité de dégénérer en duperie.


I

La tâche fut même simplifiée tout de suite pour le successeur de d’Argenson, et d’une manière brillante qui lui permettait d’élever le ton sans présomption. Très peu de jours après son entrée au ministère, l’attaque des Autrichiens sur la Provence était repoussée victorieusement par Belle-Isle, et l’horizon s’éclaircissait au point même où il avait paru un instant chargé des nuages les plus menaçans.

C’était un changement d’autant plus heureux qu’il était moins attendu. Belle-Isle, en effet, en venant prendre le