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l’ébauche encore informe de négociation entamée à Vienne, cette transaction secrète dont personne, sauf peut-être le roi, n’avait connu le fond véritable, — dont d’Argenson lui-même (on l’a vu) n’avait jamais eu la confidence complète, — ne fut pas la moins maltraitée : — « M. de Maurepas, écrit Chambrier à son maître Frédéric, n’a pas été fâché de donner connaissance à ses collègues des négociations secrètes de M. d’Argenson, afin de répandre un nouveau ridicule sur les choses qui partaient de ce dernier en y comprenant le duc de Richelieu qu’il n’aimait pas. Le comte de Maurepas et le maréchal de Noailles m’ont toujours dit que le marquis d’Argenson donnait tête baissée dans toutes les idées qui lui passaient par la tête et que ses négociations ont eu un succès que justifiait la solidité de sa judiciaire. »

Chambrier, on le voit, tenu au courant de tous les secrets ainsi révélés au conseil, n’avait garde de les conserver pour lui. On peut juger l’impression que ressentit Frédéric, confirmé par là dans tous les soupçons qu’il avait déjà conçus sur le rôle de Richelieu à Dresde et persuadé, comme il l’était toujours, que tout rapprochement entre les cours de France et d’Autriche ne pouvait être opéré qu’à ses dépens, surtout quand on essayait d’y procéder à son insu[1].

Quoi qu’il en soit, toutes les cartes étant ainsi abattues et mises sur table, c’était à Puisieulx, quand il fut rétabli, à décider celle qu’il lui conviendrait de jouer. Richelieu était de retour, n’ayant pu prolonger son séjour à Dresde au-delà du mariage de la nouvelle dauphine qu’il devait ramener en France. Mais, avant son départ, Bruni l’avait instamment prié de rester en correspondance avec lui pour suivre la négociation engagée avec Marie-Thérèse, dont la Saxe tenait à rester l’intermédiaire. N’ayant nulle raison, cette fois, de rien déguiser au nouveau ministre, Richelieu dut le mettre au courant du point où en était l’affaire et lui demander s’il lui convenait de passer outre. C’était à Puisieulx de répondre. En même temps, les conférences de Bréda devaient être reprises, les cours de Sardaigne, d’Autriche et même d’Espagne ayant, au moins en apparence, accepté l’arrangement bâtard inventé par d’Argenson. Elles consentaient à laisser leurs ambassadeurs à la porte de la conférence, où les représentans de France, d’Angleterre et de Hollande seraient seuls admis, pour porter la parole, chacun au nom de ses alliés, mais à la condition de ne rien conclure sans l’approbation commune. Il était douteux qu’une si étrange combinaison pût être sérieusement et surtout sincèrement mise en pratique : mais c’était la France qui l’avait proposée et elle ne pouvait guère

  1. Chambrier à Frédéric, 26 avril 1717. (Ministère des affaires étrangères.)