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à Vienne, entre autres avec l’illustre prince Eugène. Il avait même cru un instant que son plan était prêt à se réaliser : c’était le jour où une infante d’Espagne, fille de Philippe V, déjà fiancée à Louis XV et confiée à la garde du régent, avait été brusquement congédiée par une intrigue de cour pour faire place à Marie Leczinska. Elisabeth Farnèse, alors dans un violent accès d’irritation, avait décidé son époux à conclure avec les ennemis de sa famille un traité menaçant pour la France, qui, à la vérité, ne dura qu’un jour et ne reçut pas même un commencement d’exécution. Le mauvais succès de cette folle tentative n’avait pas découragé Macanaz, et il se mettait en route pour Bréda, l’esprit plein de l’espérance de reprendre son dessein favori, persuadé que le moment était venu de le mettre au jour, mais n’en faisant pourtant confidence à personne, afin de conserver pour lui seul le mérite et l’honneur de l’invention.

Effectivement, l’arrivée de ce petit vieillard portant allègrement ses soixante-dix-sept ans, n’ayant plus qu’une dent dans la bouche, mais parlant avec une telle volubilité qu’on avait peine à le comprendre, mit tout de suite tout le monde en révolution. D’abord il avait été convenu que, pour se conformer au rôle secondaire que leurs cours avaient accepté, les plénipotentiaires non convoqués à Bréda resteraient à La Haye, attendant le résultat des délibérations auxquelles ils n’étaient pas appelés à prendre part, et les envoyés autrichien et sarde, les comtes d’Harrach et de Chavanne, étaient déjà à leur poste, dans l’attitude expectante qui leur était commandée ; mais Macanaz déclara qu’il ne l’entendait nullement ainsi, qu’il avait bien l’intention de se rendre à Bréda de sa personne, et il engagea ses collègues à faire comme lui. Chavanne se laissa entraîner par l’exemple ; d’Harrach, soit que ses instructions fussent plus précises ou son naturel moins entreprenant, se borna à les regarder faire.

Arrivé à Bréda, Macanaz ne perdit pas un jour pour faire connaître d’abord verbalement à l’envoyé français, Dutheil, puis à la conférence réunie, par un mémoire écrit, qu’il avait la volonté arrêtée d’être admis lui-même à discuter les intérêts de sa cour, celle-ci n’entendant charger personne de plaider sa cause à sa place. Ce fut un véritable coup de théâtre. Dutheil et Sandwich, aussi étonnés l’un que l’autre, mais l’un voulant cacher sa déconvenue, l’autre ne voulant pas laisser voir combien il s’en amusait, ne pouvaient se regarder sans rire. Il n’y avait point de réponse à faire à une demande qui renversait toutes les conventions faites. Le secrétaire de Macanaz fut renvoyé les mains vides.

Dutheil, qui se rendit chez lui après la séance, le trouva dans