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un véritable accès de fureur. Il éclatait en reproches, surtout contre la France, qui fermait elle-même la porte au nez de son alliée. Dutheil essaya vainement de le calmer. — « Mais qui donc voulez-vous tuer ici, monsieur Macanaz ? lui ai-je dit, laissez-moi plutôt vous embrasser et vous exhorter à réfléchir que nous n’avons point à nous quereller quand nos maîtres s’entendent. » — Il n’en fallait pas moins donner avis de l’incident à Paris et à Madrid, et tout fut de nouveau en arrêt[1]. Et, en attendant, les yeux restaient fixés sur l’étrange figure que faisaient les deux envoyés de la maison de Bourbon, si ridiculement en conflit l’un avec l’autre.

A Paris, cela va sans dire, la prétention de Macanaz fut traitée, ainsi qu’elle le méritait, comme une fantaisie sans gravité. L’ambassadeur d’Espagne, plus surpris que personne, se montra même très offensé que Macanaz, passant par la France, ne l’eût pas prévenu de son incartade : il promit d’y mettre ordre et suppliait qu’on n’y attachât pas d’importance. Tout au plus quelques ennemis de d’Argenson se donnèrent-ils le malin plaisir de faire remarquer qu’il n’était pas bien surprenant qu’une machine si mal mise en train ne pût pas même faire un tour de roue. — « Je connais des gens, écrivait Duvernay à Dutheil lui-même, qui ont dit au défunt ministre des affaires étrangères que la forme qu’il voulait donner à cette assemblée lui causerait plus d’un embarras ; mais on est souvent obligé de marcher à la suite de l’imbécillité des autres. Ayez donc courage et patience[2]. »

A Madrid, les choses allèrent un peu différemment. Au premier moment, les arrangemens pris étant formels, il n’y avait pas moyen de les nier, et le comte de Carvajal (c’était le nom du nouveau ministre appelé par Ferdinand VI à diriger les affaires étrangères) fut bien obligé de convenir que l’extrême vivacité de Macanaz avait pu lui faire faire quelque étourderie : — « Je crois que c’est le premier homme de quatre-vingts ans, fit observer Vauréal, qu’on ait réprimandé à titre de vivacité et d’étourderie. » Mais quelques jours après, tout était changé, et quand Vauréal vint s’informer si des ordres avaient été donnés pour faire cesser le scandale qui avait lieu à Bréda : « Il y a bien eu un scandale, répliqua Carvajal en se redressant, mais c’est M. Dutheil qui l’a donné. Si M. de Macanaz était exclu de la conférence par nos ennemis, à la bonne heure ; mais que ce soit le ministre de France qui l’exclue,

  1. Dutheil à Maurepas, 16 mars 1747. (Correspondance de Hollande. — conférences de Bréda. — Ministère des affaires étrangères.) Quand l’incident éclata, Maurepas gérait encore l’intérim des affaires étrangères.
  2. Paris-Duvernay à Dutheil, 14 mars 1747. (Correspondance de Hollande. — Conférences de Bréda. — Ministère des affaires étrangères.)