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l’entrée de sa nièce dans la famille royale et les services qu’il était, par là même, en mesure de rendre non plus seulement sur le champ de bataille, mais dans les démêlés intérieurs et domestiques de la cour.

Il ne s’était pas trompé, en effet, en pensant que cette alliance lui viendrait efficacement en aide pour affermir dans sa patrie adoptive sa position toujours précaire et, quelque grande et méritée qu’elle pût être, toujours contestée par des rivaux envieux ; mais quelque avantage qu’il s’en fût promis, il n’avait peut-être pas prévu lui-même jusqu’à quel point sa parenté avec l’héritier du trône allait lui permettre de pénétrer dans l’intimité du souverain et de sa famille. Le nouveau mariage royal, si convenable au point de vue politique, si bien assorti par le rang et l’âge des époux, n’en commençait pas moins par des débuts assez pénibles. Ce n’est pas qu’une bienvenue très générale n’eût accueilli la première apparition de la princesse. Tout souriait au contraire à cette enfant de quinze ans, qui, dans l’éclat d’une situation inespérée, dont elle ne semblait ni éblouie, ni embarrassée, déployait des grâces naïves propres à lui gagner tous les cœurs. Si ses traits n’étaient pas d’une beauté régulière, la fraîcheur de son teint, la noble élégance de sa taille, la douceur pénétrante de son regard, une physionomie à la fois candide et piquante, donnaient à toute sa personne un charme inexprimable. Le roi s’amusait de la vivacité ingénue de ses reparties, et elle désarmait les préventions stanislaïques de la reine, en se jetant dans ses bras avec une confiance filiale ; chacun faisait tout bas une comparaison à son avantage avec la contenance sévère de la fière Espagnole qu’elle remplaçait. Le seul qui ne parût pas touché, mais plutôt impatienté de ce contraste, c’était celui qui aurait dû en être le plus séduit, le dauphin lui-même. Attaché à la femme qu’il avait perdue avec la vivacité d’un premier amour, le jeune prince était encore inconsolable et ne pouvait pardonner à la raison d’état de le condamner sitôt à l’oubli. La nouvelle mariée, disait-on, ne s’apercevait que trop des sentimens de son époux : avant même leur première rencontre, et pendant qu’elle faisait route en France, une lettre adressée à sa dame d’honneur et tombée par erreur entre ses mains l’avait préparée à l’accueil plein de trouble et de sécheresse qui lui était réservé ; cette froideur visible parut même telle, dans les premières relations du jeune ménage, qu’on put croire que le but du mariage serait manqué et que la couronne de France attendrait encore quelque temps un héritier[1].

  1. Vitzthum, Maurice, comte de Saxe, et Marie-Josèphe, p. 158, 160, 180. — Chambrier à Frédéric, 20 février 1747. — Ministère des affaires étrangères.) — Loss au comte de Brühl, février 1747. (Archives de Dresde.)