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La biographie historique de Dante, semblait-il, était définitive, et il n’y avait plus qu’à en corriger certains détails. Mais, dans le troisième tiers de ce siècle, les études d’histoire et d’histoire littéraire prirent en Italie une extension nouvelle, et furent pratiquées avec une impartialité, un désintéressement des partis qu’elles ne pouvaient guère avoir au temps de la lutte pour l’indépendance nationale. Il n’y avait plus à chercher dans le passé des encouragemens pour le présent et pour l’avenir, il n’y avait plus à confisquer les grands hommes au profit de la cause nationale ou antipapale, comme l’avaient fait les Foscolo et les Gabriel Rossetti. De plus, grâce en grande partie à l’influence du professeur F. de Sanctis, une école de critique se constituait, et, avec une méthode sûre, se mettait à fouiller les archives et les bibliothèques, plus accessibles du reste qu’elles ne l’avaient été sous les règnes précédens. Le XIIIe et le XIVe siècle, — « l’âge d’or » de la littérature italienne, — devenaient le but de recherches de plus en plus nombreuses. Une commission royale était chargée de publier des textes. Il se fondait un peu partout des revues savantes comme le Propugnatore et les Archives historiques d’Italie. Le poète érudit qui a été le héros des fêtes de Bologne et dont la popularité va toujours grandissant, M. Giosué Carducci, prenait de fait la direction de ce mouvement ; et l’on voyait paraître, à côté de ses nombreux Essais, des éditions soignées des contemporains de Dante et des ouvrages comme le Dino Compagni de M. Del Lungo, les Sources de l’Arioste de M. Rajna, l’Histoire de la littérature de M. Bartoli, et les nombreux travaux de MM. d’Ancona, Rodolfo Rénier, Gaiter, Finzi, della Giovanna, V. Imbriani, etc. On s’apercevait alors que les « dantologues » de la génération précédente, pour avoir apporté dans leurs recherches une critique plus éclairée que leurs prédécesseurs, étaient demeurés en grande partie plongés dans des erreurs traditionnelles ; et il arriva qu’en retouchant les détails de la biographie généralement admise, on renversa tout l’édifice. En sorte qu’à l’heure actuelle on peut dire sans exagération que la biographie de Dante n’existe plus. Le tome Ve de l’Histoire de la littérature italienne de M. Ad. Bartoli, consacré en entier à la vie de l’Alighieri, résume avec une sorte de scepticisme triomphant toute cette œuvre de destruction. L’auteur commence par déclarer expressément qu’il ne tente point d’écrire une « vie de Dante ; » qu’il faudra des années encore avant qu’une telle tentative soit « seulement possible ; » qu’avant de la risquer, il faut être arrivé à la pleine persuasion que les « vies » écrites jusqu’à présent ne sont que des romans, fabriqués de bonne foi, mais en dehors de données positives. Et il annonce qu’il se propose simplement d’indiquer quels sont, dans les