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musicien. En parlant de ses connaissances musicales, Fraticelli ajoute : « Il ne semble pas impossible qu’il ait eu, comme on dit, Casella pour maître de musique. » Remarquez, je vous prie, cet on dit : il semble mettre l’affirmation sur le compte de la tradition, qui est toujours, en somme, une espèce d’autorité. Or, si l’on en cherche la source, on la trouve dans un biographe obscur du XVIIIe siècle, Lastri, qui, dans des Éloges des hommes illustres de Florence, avait hasardé cette phrase : « Peut-être Dante eut-il pour maître de musique Casella. » Casella vient ici compléter un renseignement emprunté à Philelphe, qui s’était plu à raconter que Dante chantait agréablement, qu’il avait une bonne voix et jouait de la cithare et de l’orgue, pour chasser l’ennui de sa solitude pendant sa vieillesse. Philelphe lui-même avait inventé la bonne voix, l’orgue et la cithare, et l’idée lui en avait été fournie par Boccace, qui se borne à insinuer que, dans sa jeunesse, Dante trouvait du plaisir à s’occuper « de vers et de chants. »

Il en est de même pour la plupart des traits dont l’ensemble constitue le roman de l’Alighieri : les biographes se les sont empruntés les uns aux autres, chacun renchérissant en développemens et en certitude sur son prédécesseur, et le premier ayant presque toujours puisé le renseignement dans son propre fonds. Le scepticisme peut-être excessif des biographes actuels se trouve donc en partie justifié par l’extrême crédulité de ceux dont ils s’appliquent à défaire l’ouvrage. Ce n’est pas à dire qu’ils ne tombent dans quelques excès, et il y a parfois quelque chose d’un peu puéril sous leur propension à remettre en question le moindre détail, fût-il appuyé par de bonnes présomptions. Nous ne les suivrons pas sur ce terrain, et, dans le rapide résumé que nous allons donner de leurs travaux, nous nous attacherons seulement à marquer les résultats les plus importans.


II

L’année 1265 est la date généralement admise pour la naissance de Dante. On s’est livré sur ce millésime à des discussions très vives. M. Labruzzi, entre autres, a démontré à grand renfort d’arithmétique et de logique que, si Dante ne pouvait pas être né après 1265, il devait être né avant. J’avoue qu’il s’agit là d’un de ces points d’érudition dont l’intérêt m’échappe, et, sans entrer dans le détail des excellons argumens contre l’an 1265, et des non moins excellons pour, je demande la permission de l’accepter sans plus de façons. Mais des difficultés plus sérieuses commencent dès