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Mais un étudiant ne part guère pour l’Université avec une troupe de cavaliers, et il semble plus probable que ce départ, si sobrement décrit, ait correspondu à quelque expédition de guelfes florentins contre leurs ennemis de Pise ou d’Arezzo, avec lesquels ils furent presque continuellement en guerre de 1283 à 1289. La part que Dante prit à ces expéditions reste à déterminer. La tradition veut qu’il ait combattu à cette bataille de Campaldino, où le hasard réunit plusieurs des personnages qui devaient jouer un rôle dans sa vie ou dans son poème : son futur beau-frère Corso Donati, qui décida du succès de la journée en se jetant dans la mêlée malgré les ordres qu’il avait reçus ; Buonconte de Montefeltro, le chef de l’armée ennemie, qui au chant V du Purgatoire explique sa mystérieuse disparition ; Bernardino da Polenta, le frère de Francesca da Rimini ; elle le conduit aussi sous les murs du château de Caprona, que les Pisans défendirent pendant cinq mois contre les Florentins. Et la description de la bataille de Campaldino que fait Buonconte, et l’allusion directe au siège de Caprona qui se trouve au chant XXI de l’Enfer, sont ici d’accord avec la tradition. M. Bartoli, en discourant sur ces deux épisodes, me paraît abuser du droit à la méfiance que revendiquent les modernes historiens de Dante. D’autre part, M. d’Ancona, en se livrant à de minutieux calculs de dates pour chercher une concordance entre ces deux faits et la cavalcade la Vita nuova, oublie que la Vita nuova n’est pas une autobiographie, et que, dans ce petit roman sentimental, Dante a pu transposer des dates aussi bien qu’omettre ou corriger des faits. Et M. del Lungo a pour lui toutes les présomptions, quand il démontre qu’il s’agit d’un épisode très simple et très naturel dans la carrière du poète, et qui ne suffit pas à en faire un héros. L’excès de critique est un danger comme l’excès de crédulité, et lorsqu’on trouve dans la Comédie des vers d’un sens aussi précis que ceux qui évoquent l’image des vaincus sortant de Caprona, sous la foi d’une convention qu’ils ont grand’peur de voir violer, il faut les accepter pour ce qu’ils signifient.

Si les anciens biographes de Dante ont amplifié à l’infini les quelques données positives que nous possédons sur ses premières études et sur ses premières armes, ils se sont donné plus libre carrière encore sur ses premières amours. Le problème de Béatrice a pris, grâce à eux, de telles proportions, que je ne puis songer à examiner ici les diverses solutions qu’il a reçues. Je me contenterai donc d’indiquer brièvement la façon dont il se pose à l’heure actuelle.

D’abord, l’identité de la Béatrice Portinari, dont Boccace a créé la légende, avec la gentilissima donna, qui, sous le nom de