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Son attitude pendant l’expédition d’Henri VII, et la violence de ses lettres-pamphlets, avaient achevé de le rendre odieux au gouvernement florentin : aussi quand, en septembre 1311, une loi d’amnistie rouvrit la ville aux exilés blancs, fut-il compris parmi les plus compromis qui en étaient exceptés. Quatre ans plus tard, une nouvelle sentence était encore rendue contre lui, confirmant la première, sous le coup de laquelle il se trouvait encore, et l’aggravant en l’étendant à ses fils : comme gibelins, rebelles à la commune et au peuple de Florence et aux statuts du parti guelfe, ils étaient condamnés à avoir la tête coupée. On peut supposer que de nouvelles hostilités de sa part avaient provoqué cette nouvelle rigueur, mais on ne peut savoir de quelle nature elles étaient, car les actes de Dante, pendant les années qui suivirent la mort d’Henri VII, nous sont inconnus, et l’authenticité de ceux de ses écrits qui se rapportent à cette époque est discutable. Peut-être le proscrit avait-il pris part, avec ses fils, à cette bataille de Montecatini que les gibelins d’Uguccione délia Faggiuola gagnèrent sur les guelfes, le 29 août 1315, et qui est antérieure de trois mois à la sentence.

On pourrait croire que cette condamnation se changea plus tard en une offre d’amnistie : en effet, en 1317, toutes les villes toscanes, à l’exception de Lucques, qui resta isolée, mais non menaçante, se trouvèrent au pouvoir des guelfes. La situation parut propre à un essai de pacification, le gouvernement florentin se relâcha donc de sa sévérité habituelle et offrit à quelques exilés politiques une grâce humiliante : il s’agissait, pour eux, devenir figurer à la procession des condamnés de droit commun qu’on graciait chaque année à la Saint-Jean, et d’accepter qu’à cette condition leur peine, comme on le faisait pour les voleurs et les assassins, fût commuée en une simple amende. Beaucoup acceptèrent et vinrent humblement porter leur cierge derrière l’image du saint libérateur. Dante, qui se croyait en droit d’exiger une réparation, refusa une telle grâce par cette lettre à « l’ami florentin, » qui est une brève et frappante apologie de sa vie :

«… Ce n’est pas là le moyen de rentrer à Florence ; mais si vous en trouvez un autre, qui ne déroge pas à la réputation et à l’honneur de Dante, je l’accepterai avec empressement. Si je ne puis rentrer honorablement à Florence, je n’y rentrerai jamais. Hé quoi ! est-ce que partout je ne pourrai contempler le soleil et les étoiles ? Est-ce que partout, sous le ciel, je ne pourrai contempler les douces vérités sans avoir besoin, pour cela, de me rendre avec ignominie au peuple et à la ville de Florence ? — Et le pain non plus ne me manquera pas… »