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aussi quelle joie quand c’est lui qui a eu l’avantage ! et c’est la joie de presque tous les jours. Les informations sont d’une rare exactitude, parce que c’est de d’Ormesson que Mme de Sévigné les tient le plus souvent. « On parle fort à Paris, dit-elle, de Foucquet, de son admirable esprit et de sa fermeté. Il a demandé une chose qui me fait frissonner ; il conjure une de ses amies de lui faire savoir son sort par une certaine voie enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra, sans préambule, afin qu’il ait le temps de se préparer à en recevoir la nouvelle par ceux qui viendront la lui dire, ajoutant que, pourvu qu’il ait une demi-heure à se préparer, il est capable de recevoir sans émotion tout le pis qu’on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait pleurer, et je suis assurée qu’il vous serre le cœur. »

Il n’y avait pas tous les jours reprise d’audience. A la troisième comparution, le 18 novembre, Foucquet refusa de s’asseoir sur la sellette, parce que Séguier avait prétendu que c’était une manière de reconnaître la juridiction de la chambre. Interrogé au sujet d’une pension de 140,000 livres prise sur les aides par Bruant et Gour-ville, l’accusé nia d’y avoir eu part et se renferma, d’ailleurs, dans son système général de défense, à savoir que c’était à l’accusation d’apporter des preuves, ce que, depuis trois ans, elle s’efforçait vainement de faire. En effet, l’accusation était fort empêchée. À chaque nouveau grief allégué, Séguier aurait bien voulu « que le fait demeurât constant, » du moins, ajoutait-il, « autant que faire se pourroit ; » autant dire qu’il aurait fallu juger sur de simples présomptions, ce qu’il faisait, d’ailleurs, sans le moindre scrupule pour son compte ; mais tous ses collègues n’avaient pas la conscience aussi tranquillement large. Olivier d’Ormesson, particulièrement, demandait des preuves, au grand scandale de Séguier, de Voysin et surtout de l’irascible Pussort : « M. Pussort, disait-on parmi les commissaires, tient M. d’Ormesson sur la sellette plus fortement que M. Foucquet n’y seroit tenu. »

Séguier se perdait dans ces questions de finances, si obscures, si compliquées, si subtiles. Louis XIV le manda et lui fit la leçon, évidemment d’après Colbert. Il interrogeait mal ; il n’interrogerait plus ; il ne poserait qu’une question de fait, et laisserait parler l’accusé, sans entrer en discussion. Le jour suivant, il essaya de la nouvelle méthode, mais il s’y prit maladroitement : « La compagnie, dit-il à Foucquet, a considéré votre affaire, l’a examinée jusqu’aux moindres circonstances ; elle a tout vu, tout pesé ; elle n’attend pas, pour former son jugement, vos réponses, à vous accusé. Elle y fera toutefois telle considération que de droit. » On peut s’imaginer l’effet que cette naïve et brutale déclaration fit sur l’opinion publique.