Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvens devenus sans emploi. Une vive émulation régnait entre ces diverses sociétés, et les concours auxquels elles se conviaient mutuellement avaient pris plus d’extension. Le musée de Dordrecht possède un programme et une liste des « prix riches et nombreux » proposés en 1644 par les coulevriniers de la gilde de saint George de cette ville et la feuille imprimée sur laquelle sont représentés les modèles des vases offerts en primes était destinée à être affichée dans les Doelen de la région. Ces Doelen étaient aussi appropriés et meublés avec plus de luxe : des tapisseries en garnissaient les parois, et ils contenaient les archives, le trésor de la compagnie, ses étendards portant des inscriptions patriotiques : Pro aris et focis ; Hâc nitimur, hanc tuemur ; Concordia facit vim, etc. Sur les verres à boire étaient tracées des devises d’un caractère plus intime, comme : Amicitiœl Lœtare ! Aurea libertas, ou cette autre qui s’adressait à la fois aux hommes mariés et aux célibataires de la compagnie : Uxoribus et amoribus ! Quant aux tableaux qui formaient le principal ornement de ces lieux de réunion, on pourrait croire qu’après les grands événemens dont ils avaient été témoins et auxquels plusieurs d’entre eux avaient même pris part, les peintres allaient se proposer d’y retracer quelques-unes des actions d’éclat qui avaient illustré ces milices bourgeoises et d’en perpétuer ainsi le souvenir. Il n’en est rien ; nous les voyons, après comme avant la guerre, reprendre à l’envi le thème connu et aligner, ainsi que le faisaient leurs prédécesseurs, en longues files des personnages juxtaposés. Le seul progrès consistera à donner un peu plus de vie à ces portraits, à grouper les figures avec un peu plus d’art autour d’une table, le plus souvent le verre en main.

Parmi les villes où furent exécutés les travaux les plus considérables en ce genre, Harlem figure au premier rang. Après avoir été un des principaux centres de la résistance contre l’étranger, elle était destinée à devenir le foyer de production le plus actif et le berceau même de l’école hollandaise. De bonne heure, elle avait eu deux Doelen dont le plus récemment fondé, celui de saint George, occupait dès 1414 le local de l’ancien cloître Saint-Michel. Ce local ayant été détruit dans le grand incendie de 1576, la Société en avait fait construire un autre dans la Hauptstraat. En 1582, ces corporations militaires s’étaient notablement développées : elles comprenaient six compagnies chargées du service des postes et des patrouilles et elles étaient encouragées par la municipalité. L’année même qui suivit cette réorganisation, un peintre qui, malgré sa jeunesse (il n’était alors âgé que de vingt et un ans), comptait déjà parmi les plus célèbres, Cornelis de Harlem, fut chargé de l’exécution d’une grande toile destinée à orner un des Doelen de la ville.