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porter dans ces régions populeuses les produits de notre industrie. — Bref, il est difficile de croire qu’une exploitation intelligente, résignée à attendre la rémunération de ses sacrifices, ne reçoive pas cette rémunération dans quelques parties au moins des territoires, si étendus, si variés, qui vont former entre nos mains un tout homogène de l’Atlantique au Niger, du Niger au golfe de Guinée. Quelle pourrait être cette exploitation ? nous le rechercherons tout à l’heure.

Passons aux projets des Algériens. Ces projets se résument dans la « grande idée, » le transsaharien. Lancée par M. Duponchel, il y a dix ans, l’idée sombra dans le désastre de la mission Flatters, qui devait en préparer la réalisation. On ne se souvint que de la tragédie, on oublia tout ce qu’il y avait de satisfaisant dans le rapport de M. Béringer. Ressuscitée par la fièvre africaine qui nous tient, la conception de M. Duponchel a retrouvé des apôtres, et l’on sait tout le chemin qu’elle a fait depuis six mois. Les publications de MM. le général Philebert et Rolland, Fock, Édouard Blanc et autres ingénieurs de mérite, l’ont présentée sous un jour séduisant. Les journaux populaires la répandent dans nos campagnes. Les plus hautes autorités militaires l’accueillent avec faveur. On discute ardemment les trois tracés rivaux ; les préférences les plus raisonnables semblent aujourd’hui acquises au tracé central. Sur les lignes excentriques, les difficultés internationales aggraveraient les difficultés techniques. Le projet oranais prête le flanc au Maroc, il emprunte des territoires litigieux. Le projet tunisien, plus direct que les autres, n’a de valeur qu’à la condition de s’appuyer sur les postes turcs de Ghadamès et de Rhât. Ce serait une imprudence impardonnable de mettre notre ligne à la merci des Turcs de Tripolitaine et de leurs successeurs possibles. Si l’on joue une partie aussi hasardeuse que celle du transsaharien, il faut du moins la jouer chez nous, à l’abri de tout mauvais vouloir étranger, en plein cœur de nos possessions.

Il s’agirait donc de continuer, à partir de Biskra, la ligne qui rattache actuellement cette station à Philippeville, et qui peut être aisément reliée à Alger. De Biskra à Ouargla, un premier tronçon de 300 kilomètres n’offre pas de difficultés : nous occupons cette région, nous en connaissons les ressources ; on estime qu’elles couvriraient les frais de l’exploitation. Au-delà commence, je ne dirai point l’inconnu, mais le peu connu, avec ses imprévus. La ligne descendrait droit au sud, jusqu’à un point qui serait vraisemblablement Amguid. De ce point, elle obliquerait, suivant les idées qui prévaudraient alors, soit à droite, sur le coude du Niger, soit à gauche, sur le lac Tchad. Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, la longueur totale de la voie serait, en chiffres ronds, de