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der Helst une allusion formelle à ce grand événement. La seule différence avec le tableau précédent que l’on y puisse signaler, c’est que non-seulement on y boit, mais qu’on y mange. Les membres de la corporation ont d’ailleurs bien fait les choses. Pour la circonstance, les grandes pièces d’argenterie ont été sorties du trésor et des vases de capacité rassurante rafraîchissent dans un grand bassin d’argent ; une servante apporte un paon dressé avec sa queue, sur la table déjà couverte de volailles, de viandes rongées jusqu’aux os et de ces pâtisseries compactes dont l’indigeste épaisseur atteste l’élasticité d’estomacs à toute épreuve. Intrépides, acharnés, silencieux, quelques-uns des convives poursuivent consciencieusement leur tâche, pendant que d’autres vident leurs verres ou des hanaps de contenance pantagruélique. Aussi, comme dans les toiles de Hals, les yeux sont allumés, les visages vermeils et luisans. Heureux de travailler ainsi à l’apaisement public, tous s’abandonnent à la sensualité de ces mangeailles plantureuses et de ces toasts réitérés. Les temps sont bien changés ! Tandis que chez les peintres primitifs, ces repas des corporations militaires n’étaient qu’un prétexte commode pour réunir autour de quelques harengs maigres des personnages graves comme des théologiens, parmi lesquels circulait modestement le broc d’étain, où à tour de rôle ils trempaient leurs lèvres, les grasses lippées avaient succédé à ces collations ascétiques. C’est en historiographe scrupuleux que Van der Helst nous raconte cette transformation des mœurs populaires, avec le flot toujours montant de la richesse publique. Dans une autre petite toile dont nous possédons au Louvre une réduction d’une qualité et d’une conservation supérieures, les Administrateurs de la gilde de Saint-Sébastien, en 1653, l’artiste nous fournit une nouvelle preuve de la progression de ce luxe, quand il nous montre les chefs de la gilde tenant en mains les vases précieux, les bocaux, les cornes à boire, les coupes montées, les baudriers en or et les insignes de toute sorte qui peu à peu sont venus grossir le trésor de leur Doelen. Dans ce tableau du Ryksmuseum et dans trois autres du même genre qui sont demeurés à l’hôtel de ville d’Amsterdam, les dignitaires seuls sont représentés ; élégans, bien parés, ils posent dans des attitudes étudiées. Avec l’inaction, la mollesse est arrivée, et en même temps que Van der Helst, G. Flinck nous fournit sur ses contemporains des informations pareilles aux siennes. Dès 1645, dans sa Compagnie du capitaine Albert Bas, Flinck a complètement répudié le style de son maître.