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Sous les déguisemens les plus variés, tantôt comme frère de charité, ou comme juif polonais, tantôt comme chaudronnier slovaque ou comme ouvrier horloger français, Demboski parcourait les cantons de Bochnia, Rzeszow et Tarnow, afin de se concerter avec les chefs du mouvement pour ces cantons, les deux comtes Wiesoloski, le baron Bogush et M. de Kotarski. Il excitait le courage des conspirateurs à Pilsna. Dans les cabarets et dans les foires, il haranguait les paysans, et leur promettait la suppression de la robot (corvée) et celle de l’impôt sur le sel et sur le tabac.

Le gouvernement autrichien n’ignorait pas la présence et les agissemens de Demboski en Galicie. La police était constamment sur ses talons, mais il réussissait toujours à lui échapper.

Dans les premiers jours de décembre 1845, les autorités de Tarnow apprirent que Demboski se trouvait chez la baronne Kiélarowska dont le château était tout près de la ville. Aussitôt, un commissaire et un escadron de hussards lurent expédiés pour le faire prisonnier.

A Doubno, chez la baronne, on était en train de souper. Outre la maîtresse de la maison et Demboski, il y avait le baron Bogush et une jeune fille, Mlle Henryka Listewska, dont le père, un officier polonais, avait été tué à Wola en 1830. Henryka avait été recueillie et élevée par la baronne. C’était une grande et belle fille, élancée, avec la tête noble et fière d’une patricienne romaine. De temps à autre, cette jeune fille aux yeux bleus et hardis de vraie Sarmate jetait un regard de compassion visible sur l’élégant émissaire, dont l’éloquence simple l’avait étrangement touchée.

Tout à coup, le cabaretier juif de Doubno entra précipitamment dans la salle à manger, et annonça, tout effaré, l’arrivée du commissaire et des hussards an village.

— Vite ! Demboski, fuyez, hâtez-vous ! s’écria la baronne.

— Fuir est impossible, dit le juif, les hussards ont cerné tout le village ; ils ont mis des postes à toutes les sorties. Ils seront ici dans quelques instans.

— Alors, il faut le cacher ici, dit Bogush.

— C’est inutile, dit Henryka, qui jusqu’alors avait gardé le silence ; si bien qu’on puisse le cacher, il sera découvert. Mais si M. Demboski veut se fier à moi, ajouta-t-elle en se tournant vers l’émissaire, je me charge de le faire passer, sain et sauf, à travers les troupes impériales.

Demboski fixa un instant son regard sur cette courageuse jeune fille, et, pour toute réponse, s’inclina en silence.

— Mais il faut, avant tout, continua-t-elle, vous faire raser soigneusement la barbe.