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d’un exercice plus malaisé que le roman de mœurs contemporaines, exiger chez l’auteur et les lecteurs plus d’attention ou de savoir ; mais nous ne voyons pas de motif général qui empêche un écrivain de parvenir à restituer une époque ancienne, non plus que le public d’y prendre plaisir. Et si tous les romanciers, jusqu’ici, ont échoué à faire revivre le passé, et les Walter Scott, et les Alexandre Dumas, et les Alfred de Vigny, et les Flaubert, c’est qu’ils ont tous manqué, par quelque point essentiel, aux règles du roman historique.

Car il est certain, d’abord, que pour nous suggérer l’illusion de la vie, un roman doit être conforme à ce que nous savons par ailleurs des conditions de la vie. Un romancier qui aborde l’histoire doit avant tout la respecter, sous peine de se heurter, dans l’esprit des lecteurs, à des notions préconçues qui empêcheront qu’on le croie.

Il faut encore qu’il ne se contente pas de prendre dans l’histoire les actes et les altitudes de ses personnages. Aux différentes époques correspondent des façons différentes de sentir, de penser, de vouloir ; et les âmes des temps que l’on fait revivre doivent être restituées au même degré que l’ensemble des circonstances extérieures. Animer des personnages d’autrefois de sentimens et de pensées modernes, comme ont fait Walter Scott et tous ses successeurs, n’est pas moins déraisonnable que de vouloir échapper à ce défaut, comme a fait Flaubert, en créant des personnages d’autrefois qui n’ont ni sentimens ni pensées.

Ajoutons que, parmi les époques de l’histoire, il en est qui se prêtent mieux que d’autres à de telles restitutions psychologiques. Suivant que notre vie se modifie, nous devenons plus ou moins capables de comprendre l’une ou l’autre des civilisations antérieures. La Grèce antique, par exemple, ou même le XVIIe siècle français, nous sont en ce moment plus difficiles à reconstituer que la décadence romaine ou les dernières années du XVIIIe siècle : et déjà nous n’avons plus à nous représenter la vie des esprits de la Renaissance la même facilité qu’auraient pu avoir les générations précédentes. De là, pour l’audacieux qui reviendrait au roman historique, une sorte de choix à faire entre les époques. Il se peut que nous comprenions mieux le passé que le présent, mais certes les phases du passé que nous comprenons le mieux sont celles qui ont avec le présent le plus d’analogie.

Et si ce ne sont point les règles absolues du genre, ce sont du moins celles que semblent s’être proposées deux écrivains, M. Shorthouse et M. Pater, qui tous deux ont essayé de faire renaître en Angleterre le roman historique.