Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cruelles, il tint le serment qu’il avait fait, prit sur lui la falsification de la lettre, et fut condamné à mort après un long emprisonnement. Il allait être exécuté lorsque l’influence du jésuite lui sauva la vie.

Au sortir de sa prison, il eut une joie très vive, que devait suivre bientôt le pire désespoir. Il rencontra son frère Eustace qui, peu de temps avant la Révolution, s’était marié, et qui se préparait maintenant à rejoindre sa femme dans le château qu’elle habitait. Au contact de ce frère toujours aimé, l’âme fatiguée de John retrouvait, avec les souvenirs de l’enfance, les naïves tendresses enfantines. Mais Eustace était inquiet, troublé ; il hésitait à quitter Londres. Un Italien qu’il avait naguère mortellement offensé s’était introduit, en qualité de médecin, auprès de sa femme : les horoscopes consultés donnaient des présages sinistres. Pour se rassurer, les deux frères allèrent voir l’astrologue le plus fameux de Londres, un homme de fort belle mine, l’air sérieux et plein de dignité, vêtu de noir, avec une pèlerine de fourrure sur les épaules et la tête coiffée d’un bonnet carré. Invité par cet homme à lire l’avenir dans un cristal magique, John Inglesant frémit d’horreur en y discernant le cadavre de son frère, frappé d’un coup de poignard. Puis la vision s’effaça, et il s’éleva dans la chambre un vent si violent que l’astrologue, se tournant vers le jeune homme :

« En vérité, jeune seigneur, lui dit-il, il faut que vous soyez d’une nature singulière ; assez pur de cœur pour voir des choses qu’ont vainement désiré voir les hommes les plus saints, et pourtant si sauvage et si indocile que la perversité de vos intimes pensées irrite les bienheureux esprits. »

Le terrible présage du cristal était trop vrai. Quelques jours après, Eustace Inglesant mourut assassiné par l’Italien, et son frère, malade, affaibli de corps et d’esprit, se retrouva seul dans la vie. Il ne fut sauvé du suicide que par la résolution qu’il prit de venger, de sa main, le meurtre d’Eustace.

Il quitta l’Angleterre ; il vint en France, où la frivolité de la cour d’Henriette le choqua, acheva de le dégoûter de la politique. Dans un couvent de la rue des Terres-Fortes, il vit une dernière fois Mary Collet, forcée elle aussi à fuir l’Angleterre après la mort du roi. Il la vit mourir, toujours pleine d’amour pour lui, mais toujours calme et résignée, avec le doux éclat de ses grands yeux. A son tour il voulut chercher dans un cloître l’oubli et le repos, en même temps que son âme indécise continuait à lui suggérer mille prétextes contraires. Enfin il décida d’attendre, pour abandonner