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indique qu’il y aura encore une lutte parlementaire des plus vives, à laquelle le chancelier prendra peut-être part cette fois ; mais si le Reichstag de Berlin a laissé provisoirement en suspens quelques-unes des lois qu’on lui demandait, il a voté, avant de prendre ses vacances de Noël, d’autres mesures qui sont certes des plus significatives, des plus caractéristiques.

On sait avec quelle énergie passionnée le chancelier a soutenu il y a plus de quinze ans les lois de guerre contre l’église catholique, les lois connues sous le nom de kulturkampf. On sait aussi avec quelle désinvolture il a pris depuis, quand il l’a cru nécessaire, le chemin de Canossa, quoiqu’il eût dit qu’il n’irait jamais. De toutes ces lois violentes, excessives, la plupart ont été déjà abrogées ou sont tombées en désuétude. Ce qui en reste s’en va chaque jour. Le Reichstag vient de voter, sans une ombre d’observation du gouvernement, l’abrogation de la loi d’internement ou d’exil contre les prêtres remplissant leur ministère sans autorisation de l’état. Il a assimilé, par un autre vote, les missionnaires catholiques aux missionnaires protestans dans les pays de protectorat impérial. Il a voté tout cela en même temps qu’il venait de voter des dispositions qui règlent la situation militaire des étudians de théologie en les exemptant à peu près du service. Le chef du parti du centre, du parti catholique, M. Windthorst, qui a conduit habilement cette campagne, n’a pas caché qu’il se réservait d’aller jusqu’au bout, de réclamer en faveur des ordres religieux encore frappés d’interdiction ; pour le moment, il s’est contenté de ce qu’il venait d’obtenir. Ceux-là mêmes, d’ailleurs, qui avaient voté autrefois avec le plus d’ardeur les lois contre l’église catholique, en ont voté aujourd’hui d’une voix presque unanime la révocation, et ils n’ont pas déguisé, eux non plus, leurs sentimens : ils ont avoué qu’ils avaient hâte de mettre fin à toutes les luttes intestines, d’apaiser et de désintéresser les populations catholiques. M. de Bismarck ne les démentira pas, et c’est ainsi qu’agissent les grands politiques qui sentent que la paix intérieure, la paix morale est une des conditions de la puissance extérieure.

Que l’Autriche pût obtenir cette paix morale entre les nationalités de toute sorte qui composent l’empire, ce serait assurément un grand bienfait, même pour l’autorité de sa diplomatie et l’efficacité de son action en Orient. Malheureusement elle n’en est pas là, et tandis qu’elle est engagée dans une politique assez compliquée du côté des Balkans et de la Bulgarie, elle en est toujours à se débattre avec les Allemands, les jeunes Tchèques, les vieux Tchèques, les Hongrois, les Ruthènes, les Slaves du sud. Le ministère de patiente transaction auquel le comte Taaffe a donné son nom reste exposé aux récriminations, aux hostilités qui, tout récemment encore, se sont pour ainsi dire donné rendez-vous dans le Reichsrath de Vienne, à propos d’une