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Fuensaldaña, l’informa que les troupes de Turenne et de La Ferté, ayant quitté leur camp de Mouchy-le-Preux à la tombée de la nuit, contournaient les lignes par le nord ; il fallait s’attendre à une prompte attaque dirigée contre les quartiers d’Espagne, quartiers dégarnis, car le corps de Solis fournissait cette nuit la garde de tranchée et n’avait que 300 hommes d’infanterie pour garder 3,000 pas de lignes. Le baron était passé par le quartier de Lorraine pour donner à Ligniville l’ordre d’observer les troupes d’Hocquincourt[1], et, si elles remuaient, de marcher parallèlement, sans sortir des lignes, au secours des quartiers établis sur l’autre rive de la Scarpe. Ligniville n’en fit rien. Quant à Condé, il donna aussitôt aux six escadrons de piquet, commandés chaque nuit dans son armée, l’ordre de se diriger sur le point menacé. Lui-même, remontant à cheval, distribua les postes à ses lieutenans-généraux et fit prendre les armes à ses troupes.

Une heure vient de sonner. Trois coups de canon retentissent dans le silence de la nuit. Ce signal annonce l’approche de l’ennemi ; une vive clarté a trahi sa position et son plan : le vent ayant fait flamber les mèches des mousquets, cette ligne de petites flammes a tracé le front de l’armée française, qui, divisée en quatre corps, est déjà au pied de la circonvallation sur la rive gauche de la Scarpe. — M. le Prince court au canon ; il est joint par un gentilhomme de la chambre de l’archiduc, le marquis de Treslon : Son Altesse prie Condé de se rendre au plus vite au quartier-général de la Cour-aux-Bois. L’obscurité était grande, le chemin embarrassé ; il ne fallut guère moins d’une heure pour franchir la distance. Léopold attendait avec anxiété : « Les lignes sont forcées, s’écrie-t-il ; le quartier de Solis est envahi. Che bisogno fare ? » — Comme M. le Prince ne savait pas l’allemand et que l’archiduc maniait difficilement le français, tous deux s’entretenaient en italien dès qu’ils étaient tant soit peu émus ou pressés. — Che bisogno fare ? Rompere la testa a gli nemici, ossia la romperanno loro a noi. Casser la tête aux ennemis, ou ce sont eux qui nous la casseront. Je n’ai que quatre gentilshommes avec moi ; mais voulez-vous donner à vos troupes l’ordre de m’obéir ? J » ferai ce que je pourrai. » L’ordre est aussitôt donné ; M. le Prince repart avec les gardes de Son Altesse Impériale. Sur son chemin, il rencontre le prince de Ligne, le duc de Wurtemberg, qui, comme lui, marchaient au feu, rallie quelques régimens, ses escadrons de piquet qui s’étaient égarés, et ainsi, sans s’arrêter, il forme un gros de 1,200 chevaux. Tout à coup il sent la terre trembler avec un bruit

  1. Postées au Camp de César, près d’Etrun, à l’ouest.