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« Monsieur, je vous advoue que je n’ay pas eu une petite surprise quand une lettre que vous escrivés à M. le cardinal Mazarin m’est tombée entre les mains. Je vous en envoie la copie afin que vous voyés que je n’ay pas peu de subjet de me plaindre de vous. Je ne trouveray jamais estrange que vous tiriés sur nous tous les advantages que vous pourrés quand ils seront véritables, mesme quand je les vois augmentés dans les relations de M. Renaudot[1] ; je donneray cela à la coutume. Mais de voir dans une lettre escrite et signée de vostre main que nostre retraite a esté si précipitée que le dernier escadron a esté obligé de passer la rivière à la nage, — que nous avons laissé le canon à Valenciennes pour ne l’avoir pu retirer, — et que j’ay dict qu’il y avoit eu une grande contestation entre les espagnols et moy pour demeurer au poste de Valenciennes, — ce sont des choses si esloignées de la vérité qu’à moins de cognoistre parfaictement vostre escriture, je n’aurois pas cru que cette lettre-là vint de vous. Je n’ay parlé qu’à MM. les comtes de Guiche, de Vivonne, du Plessis, prince de Marsillac, Puiguillon, de Ranty, Fortilesse, du Fay et du Bouchet ; ils sont tous trop gens d’honneur pour dire que je leur ay parlé de la contestation que vous dites, et je me soubmets volontiers à leur tesmoignage. De vingt ou vingt-cinq pièces de canon que nous avons dans l’armée, nous en avons envoie deus à Valenciennes ; et si nous avons bien retiré les autres, il me semble que ces deus-là seroient aussy bien venues, si nous l’avions voulu ; car effectivement vous sçavés que vous ne nous avés pas pressés. Si vous aviés esté à la teste de vos trouppes, comme j’estois à la queue des miennes, vous auriés vu que nostre dernier escadron n’a pas passé la rivière à nage[2] ; MM. de Persan et de Duras estoient à la teste, et moi je passay avec le pénultième ; je vous asseure que nous ne vismes pas une seule de vos trouppes dans toute la prairie et qu’il n’y avoit que quelques desbandés. Je ne crois pas que M. de Castelnau vous l’ait dict ; il sçait trop bien que depuis le premier pont, où nos trouppes ne se laissèrent pas pousser, — et où les siennes ne passèrent que longtemps après que nous l’eusmes quitté, — ses escadrons n’approchèrent pas les nostres de deus mille pas. Ces messieurs dont je vous ay parlé cy-dessus, qui sont de vostre armée, furent assés longtemps avec moy, ot je leur laissay assés voir nostre marche pour qu’ils en rendent tesmoignage[3]. Enfin, je ne prétens pas tirer

  1. La Gazette.
  2. « Je vous asseure qu’ils n’ont point esté obligés de se sécher après avoir passé la rivière à nage et que nostre pont ne fui deffait que longtemps après qu’ils furent passés. » (M. le Prince au maréchal de La Ferté, 18 août. — Papiers de Condé.)
  3. « Ces messieurs que je vous ay nommés et qui marchèrent longtemps avec mon dernier escadron, virent que nostre retraite ne se fit jamais qu’au petit pas. » (M. le Prince au maréchal de La Ferté, 18 août. — Papiers de Condé.)