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d’aucune sorte : tout au plus quelques stalles le long des murs. On ne s’agenouille guère, et l’on se recueille encore moins. Les yeux sont distraits, les lèvres ne s’ouvrent que pour chanter. Surtout on ne voit pas chez les fidèles cette variété de poses qui marque l’inspiration individuelle. Ils se tiennent pêle-mêle, dans une respectueuse indifférence, et c’est assez pour eux d’avoir respiré l’air du temple. Rappelez-vous les mines satisfaites de nos magistrats, lorsqu’ils vont rendre visite au bon Dieu le jour de la première audience et lui témoignent la même politesse familière qu’au président suprême de la corporation. Telle est à peu près la religion de commande qu’on professe dans la péninsule.

Il faut voir l’aspect d’une église un jour de mariage. Chez nous, c’est un murmure discret, un froufrou de robes, un chuchotement joyeux qui court sur la majesté du temple et se mêle aux chants de l’orgue, comme le parfum des fleurs à celui de l’encens. Chez eux, c’est un véritable tapage de conversations et de lires. On se croirait sur la place publique. Pendant que le prêtre prononce des paroles que personne n’écoute, les invités tournent le dos à l’autel, échangent des nouvelles et des poignées de main. Quant aux futurs époux, le rituel les soumet à une gymnastique fatigante. On place sur leur tête une couronne de vermeil pour les riches, de fer pour les pauvres. Ce diadème a bon air quand la mariée est jolie. Mais le plus beau garçon paraît grotesque, en prince du saint-empire, avec son habit à queue de morue. J’assistai un jour à l’union d’un commerçant maladif et d’une grosse matrone. Le pauvre petit homme faisait peine à voir sous su couronne fermée, pareille à celle de Charlemagne. Il ne cessa de trembloter qu’après qu’on l’eut délivré de ce fardeau. Mais d’abord il avait dû faire trois fois le tour du pupitre, sa grosse compagne à la main, le diacre par devant, les témoins par derrière ; puis rompre le pain, boire le vin de ménage, épuiser d’avance la coupe de la vie conjugale. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Ses yeux inquiets paraissaient demander à quel nouveau genre de torture on allait le soumettre. Les gens bien élevés se prêtent de bonne grâce à ces épreuves maçonniques dont, sans doute, ils se dédommagent le soir. Mais avec tout ce manège, ils n’ont guère le loisir de penser à ce qu’ils font. Point de répit ; point de ces courtes harangues où se montre le tact du prêtre, et qui souvent touchent l’homme au bon endroit, dans le moment le plus solennel de sa vie. Point de ces larmes heureuses que le cœur débordant de la fiancée laisse tomber sur son prie-Dieu. D’abord, elle n’a pas de prie-Dieu. Une chaise de plus ou de moins décide souvent de nos plus fortes émotions. Toute la cérémonie se fait au pas de course, et le mariage n’en est pas plus solide. J’en ai vu se dénouer le lendemain même.