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mouvement même, remontait aux sources de la vie contemplative ; elle était en grand danger de bouddhisme ; et si le bon goût déplore les emprunts maladroits qu’elle fit plus tard à l’occident, du moins cette forte secousse l’empêcha de s’endormir dans la stérile extase d’un rêve oriental.

Enfin, voici la figure du Christ, qui domine de haut les deux églises. Dans les traits du Sauveur, chaque religion a dû mettre le plus pur de son âme, le dernier mot d’une prière, d’une action de grâce ou d’un symbole. Et vraiment, je le vois, ce Christ de nos temples, marcher, lui aussi, avec le temps. Il compatit si bien à nos misères, que toute l’histoire de l’humanité chrétienne est écrite sur sa face pâle. Le voici dans les siècles sombres : il souffre, il n’en peut plus ; son corps décharné se traîne lamentablement ou saigne sur la croix. Son cadavre s’effondre sur les genoux de sa mère. Il a souvent une expression indicible de découragement et de tristesse : mais il n’est jamais indifférent. C’est que, pour notre Europe, la semaine sainte a duré longtemps, le drame de la passion s’est joué pendant des centaines d’années. Mais soudain, l’heure de la résurrection sonne. Le monde renaît ; et le Christ triomphe avec lui : Michel-Ange le couronne de lierre, et lui met au front ce fier courroux qui d’un regard, sans effort, rejette à l’abîme toutes les impuretés des âges précédons, tout le cauchemar qui s’agite dans l’enfer de Dante. Raphaël le transfigure dans une apothéose. Il est partout ; il entre dans les bouges avec Rembrandt ; il éclaire même la laideur. Le secret de son éternelle jeunesse est précisément son éternelle métamorphose. Il est mobile comme nous et cependant identique à lui-même. Les attributs de sa majesté divine, pareils au sceptre et à la main de justice des princes, reposent sous le verrou du dogme. Mais dans l’ordinaire de la vie, cette majesté s’incline vers ses fidèles. Elle a si grande pitié d’eux, qu’à la longue elle finit par leur ressembler. Ainsi se renouvelle chaque fois ce mystère du Dieu fait homme, d’une divinité humaine et abordable.

Quelle différence, si mes yeux rencontrent un Christ selon la formule orthodoxe ! Ce squelette, qui plane dans l’or mystique des coupoles, est-ce bien le Rédempteur ? Est-ce le doux maître qui a conquis le monde par la voix du pécheur Pierre et du tapissier Paul ? Les docteurs byzantins ont si bien étiré le dogme dans tous les sens, ils l’ont fait passer par de tels laminoires, que l’image du Sauveur en est sortie tout amaigrie, et comme volatilisée. Les pauvres bras, raides et minces, ont perdu la force d’embrasser le monde. Les yeux fixes, qui devaient être surnaturels, n’ont eu qu’une expression morne. À force de discuter s’il était plus ou moins un