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partagé entre quatre ou cinq métropoles religieuses, Lyon contre Bordeaux, Marseille contre Paris, et dites-moi ce qu’auraient pu faire vos rois de France… Je compare l’Europe à ces planètes qui se sont consolidées lentement autour d’une masse incandescente. Le foyer central, c’est l’église. Elle a maintenu le sol de l’Europe en fusion, pendant que vos brutes héroïques tentaient toutes les combinaisons, essayaient tous les rapprochemens, jetaient à travers l’espace la semence des dynasties. Des centaines, des milliers de trônes ont surgi un instant, pour disparaître dans la fournaise. L’église n’a consacré que les plus durables, jusqu’au jour où le sol, suffisamment refroidi, non pas réduit en poudre, mais découpé par blocs solides et massifs, a pu recevoir les fondemens des grands états modernes.

Cette grande et salutaire attraction, l’église de Constantinople n’a pu l’exercer dans la péninsule. Prisonnière de l’empire, elle dut vaincre ou succomber avec lui. On la vit perdre et gagner des provinces selon les hasards des combats, subir les mêmes revers, s’enivrer des mêmes triomphes, et dans les deux cas également odieuse aux peuples qu’elle prétendait gouverner. Vous nous reprochez notre indifférence pendant la croisade ? Mais qui nous l’aurait prêchée ? Quel Pierre l’Ermite, ou plutôt quel patriarche, instrument des volontés de l’empereur, nous eût persuadés de prendre les armes contre nous-mêmes ? Est-ce que les musulmans n’étaient pas nos alliés naturels contre Byzance ? Était-ce à nous d’aller délivrer l’Asie, cette réserve inépuisable d’où l’empereur tirait des hommes et des trésors pour nous écraser ? Vous vous étonnez de notre impuissance à nous unir, de notre aversion pour l’église de Constantinople ? Mais quels sentimens pouvions-nous concevoir pour ces prêtres grecs, qui arrivaient chez nous dans les bagages des troupes impériales ? Est-ce que, de tout temps, ce clergé byzantin ne nous a pas traités en pays conquis ? Voyez, dans les chroniques, avec quelle joie féroce il se partagea les dépouilles des Bulgares, vaincus par l’empereur Basile II. Ce fut une véritable curée. L’église de Tirnova fut supprimée. On dépaysa la mense épiscopale, on la transporta bien loin, dans les montagnes, sur les bords du lac d’Ochride, pour l’helléniser, j’allais dire pour la dévorer plus à l’aise…

Non, il n’y avait rien à faire avec ces gens-là. Nos vieux rois avaient bien raison, lorsqu’ils détachèrent à leur tour une pierre de l’édifice sacré pour bâtir dessus leur église. Au moins, avec un archevêque de sa race, on était à peu près sûr de n’être pas mangé. Nos princes firent mieux encore : ils domestiquèrent, pour ainsi dire, le pouvoir spirituel en le fixant dans leur propre famille. Vous savez que notre saint Sava était le propre frère d’Etienne