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nous en avons même beaucoup de radicaux. Un curé radical ! voilà de quoi faire bondir M. Clemenceau. Je vais même plus loin ; je les appelle anarchistes, au sens propre du mot, c’est-à-dire ennemis du pouvoir, — mais seulement du pouvoir central. Ils ne veulent pas ruiner l’autorité, mais tout au plus désarmer l’état. Je vous assure qu’ils « parlent souvent de la chose comme s’ils avaient raison. » Sans doute, ils ne sont pas grands clercs : mais ils ont le sens droit, de l’éloquence naturelle. Peut-être se sont-ils formés jadis à cette fameuse école des sciences politiques, la meilleure de toutes, qu’on nomme l’école de l’adversité. Le fait est que ces anciens défenseurs du raïa professent une haine cordiale pour tous les genres d’oppression. Ils ont un flair pour la découvrir sous les déguisemens les plus ingénieux. Le bureaucrate moderne, avec ses airs papelards, leur répugne autant que le spahi du dernier siècle. Entrez à la skouptchina : vous les verrez frotter leur soutane au gros vêtement de laine brune du paysan. Vous les entendrez pérorer de fort bonne grâce sur le danger des emprunts…

— Oui, je connais cette amplification chère aux paysans du Danube :

Quel droit vous a rendus maîtres de l’univers ?
C’est-à-dire, à quoi sert un gouvernement ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie…
avec vos chemins de fer et vos inventions diaboliques ?
Nous cultivions en paix d’heureux champs…
que nous avions soin de laisser reposer quatre ans sur cinq.
Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome…
Ils ont l’infâme prétention de nous faire payer l’impôt.
Retirez-les…
Changez le personnel administratif : prenez nos amis.

on ne veut plus
Cultiver pour eux les campagnes…


Nous aimons mieux crever de faim que de voir notre pauvre argent partir pour Belgrade.