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réparer les vieilles croyances. Ils ont tous deux le même goût pour ces constructions majestueuses, dont la régularité, les grandes lignes, les belles proportions charment leur esprit ; mais il ne faut pas leur demander le sens critique, j’entends cette disposition salutaire à se méfier et à douter, ce besoin d’exactitude rigoureuse, qui s’étend aux plus petits faits comme aux autres, et demande à les vérifier tous avant de s’en servir. Eux, voient d’abord les raisons de croire ; ils sont toujours disposés à ne pas tenir compte des difficultés, quand elles ne leur semblent pas graves, et à noyer les détails dans l’ensemble. Ne dites pas à Bossuet qu’il y a quelque incertitude dans son calcul des septante semaines de Daniel ; il vous répondra d’un ton méprisant « que huit ou neuf années au plus, dont on pourrait disputer, ne feront jamais une importante question, » et se refusera « à discourir davantage. » Les objections que lui font les doctes sur sa façon d’expliquer les prophéties, quelque fortes qu’elles soient, ne lui paraissent « que des chicanes ou de vaines curiosités incapables de donner atteinte au fond des choses. » Aucune difficulté ne l’arrête ; tout lui semble aisé, simple, clair comme le jour : « Une même lumière nous paraît partout : elle se lève sous les patriarches ; sous Moïse et sous les prophètes, elle s’accroît ; Jésus-Christ, plus grand que les patriarches, plus autorisé que Moïse, plus éclairé que tous les prophètes, nous la montre dans sa plénitude. « Il abonde tellement dans son sens et trouve ses démonstrations si convaincantes qu’il ne peut comprendre comment il reste, dans ce monde, tant d’aveugles et d’incrédules « qui aiment mieux croupir dans leur ignorance que de l’avouer, et nourrir, dans leur esprit indocile, la liberté de penser tout ce qui leur plaît que de ployer sous l’autorité divine. » Il ne discute pas ; il gronde, il commande, il triomphe : « Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ? N’est-ce pas assez que nous voyions qu’on ne peut combattre la religion sans montrer, par de prodigieux égaremens qu’on a le sens renversé et qu’on se défend plus par présomption que par ignorance ? L’église, victorieuse des siècles et des erreurs, ne pourra-t-elle pas vaincre, dans nos esprits, les pitoyables raisonnemens qu’on lui oppose ? et les promesses divines, que nous voyons tous les jours s’y accomplir, ne pourront-elles pas nous élever au-dessus des sens ? »

Les aveugles et les incrédules se laisseront-ils tout à fait convaincre par ces véhémentes objurgations ? J’en doute beaucoup ; mais, à dire le vrai, ce n’est pas pour eux que la Cité de Dieu et l’Histoire universelle sont faites. On ne comprend bien ces deux grands ouvrages que si l’on s’est demandé à qui ils s’adressent. Saint Augustin dit positivement « qu’il n’a pas entrepris le sien pour les gens qui nient l’existence de Dieu ou qui pensent qu’il est