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gravit l’Altyn-tau jusqu’à la hauteur de 3,500 mètres. Tandis que le chameau domestique est généralement craintif, stupide et indolent, le chameau sauvage se distingue par sa vigilance et par le développement extraordinaire de son organe visuel et des sens de l’ouïe et de l’odorat, car sous le vent il peut découvrir la présence du chasseur à des distances considérables, et le moindre bruit n’échappe point à son oreille ; quand il se croit en danger, il parcourt avec rapidité une centaine de kilomètres sans s’arrêter un moment. Son agilité à gravir les montagnes peut être comparée à celle du chamois. Il fait rarement entendre sa voix, qui ne rappelle guère celle du chameau domestique, mais plutôt celle du taureau. Une étude approfondie de la charpente osseuse et surtout du crâne serait nécessaire pour décider la question de savoir si le chameau du Gobi est le représentant d’une race primitive, ou bien, s’il n’est que le descendant de cette race, devenu sauvage à l’instar du bétail et des chevaux en Amérique du Sud, — fait que le général Prjevalsky a vu se reproduire d’une manière frappante dans la région désertique du Gobi, nommée Ordos, où, depuis l’invasion des Dzungares, quatre ou cinq années avaient suffi, pour réduire les vaches à un état tellement sauvage, qu’elles sont aussi difficiles à chasser que les antilopes. Cependant, le général pense que le lait relatif au bétail et aux chevaux n’est guère applicable au chameau, parce que, même à l’état domestique, sa propagation réclame l’assistance de l’homme : la chamelle ayant une parturition très laborieuse et le chameau mâle n’étant pas toujours apte à la fécondation. Prjevalsky en conclut que, selon toute vraisemblance, la patrie du chameau sauvage serait le désert Koumtag, où il se trouve aujourd’hui cantonné, après avoir occupé autrefois une aire d’expansion plus étendue. D’autre part, la région du lac Lob, qui offre encore quelques moyens de subsistance à l’homme, est précisément peu favorable au chameau, à cause d’une trop grande abondance d’eau, du fléau des insectes, et du manque de nourriture.

Il nous reste à parler du mouton argali, qui est assez fréquent dans les parties montagneuses du Gobi, d’où il descend au printemps lorsque le tapis végétal commence à se revêtir de plantes alpines. Il se maintient dans les localités une fois choisies, et souvent un point montagneux sert de demeure permanente à tout un troupeau. N’ayant aucune persécution à craindre de la part des indigènes, l’argali est si peu ému par l’aspect de l’homme, qu’il passe à côté des campemens des Mongols pour aller s’abreuver. « Nous ne pûmes on croire nos yeux, dit Prjevalsky, lorsque pour la première fois nous aperçûmes, à une distance de 500 mètres