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danger, il n’y avait, disait-il, que deux moyens : accroître les dépenses en entreprenant de grands travaux publics, ou réduire les recettes en dégrevant les contribuables, et résolument, il recommandait cette dernière solution comme la plus conforme aux traditions démocratiques, dédaigneux de l’influence que lui eussent donnée, à lui président rééligible, des centaines de millions à dépenser, des places à distribuer, des sinécures à créer. En honnête homme qu’il était, il mettait ses compatriotes en garde contre ces moyens d’action laissés aux mains du pouvoir exécutif, et concluait en proposant un abaissement des tarifs douaniers. A cela capitalistes et fabricans se refusaient. Ces droits protecteurs les enrichissaient, et le parti républicain en préconisait le maintien, ralliant à lui ceux qu’inquiétaient les tendances libérales de Grover Cleveland. Mais ce n’était là qu’un déplacement de voix, en somme plutôt favorable aux démocrates.

L’opposition menait grand bruit autour de ce message, encore que Blaine, qui lui donnait le mot d’ordre, n’attendit pas grand résultat de ces attaques. Tout au plus étaient-elles utiles à entretenir l’agitation, à masquer le désarroi qui régnait dans les rangs des républicains et l’évolution que préparait leur chef. Aussi, grande fut l’émotion de son parti et la surprise des démocrates quand on apprit que James Blaine déclinait la candidature à la présidence et refusait de se laisser porter contre Cleveland. Et cependant, sa lutte avec Cleveland en 1884, lutte dans laquelle il n’avait succombé qu’avec un faible écart de voix, son autorité incontestée, son prestige, faisaient de lui le candidat désigné, le seul homme capable, semblait-il, de conduire les républicains à l’assaut. Aux offres faites il répondait par un refus ; aux sollicitations, aux reproches des siens, il se dérobait en partant pour l’Europe.

Cette attitude inexplicable qui déconcertait son parti, ce départ inattendu qui ressemblait à une défection devant l’ennemi, était, de sa part, le résultat d’un plan longuement mûri. M. J. Blaine estimait possible, probable même le succès des républicains ; mais, en ce qui le concernait, il ne croyait pas au succès de sa propre candidature. Il connaissait trop l’ombrageuse susceptibilité de la démocratie américaine, et, dans son camp même, les intrigues de rivaux impatiens de sa popularité, désireux de secouer un joug que sa nature autoritaire leur faisait lourdement sentir. Il savait qu’à l’exception de Washington, Andrew Jackson, Grant, que leurs services militaires signalaient à l’attention publique, presque aucun des présidens qui s’étaient succédé à la Maison-Blanche n’avait été choisi parmi les hommes d’état éminens de la République, parmi les chefs reconnus des partis qui se disputaient la prépondérance L’un des plus grands, Daniel Webster, l’un des plus habiles,