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M. Blaine. Les avantages qu’en recueilleraient les États-Unis sont trop évidens, ceux qui en résulteraient pour les autres états trop problématiques, pour ne pas éveiller les défiances de ces derniers. Le temps et le prestige, l’étendue du pouvoir et sa durée manquent au Bismarck américain. Il n’a pu ni attendre l’occasion propice ni la faire naître ; il a dû précipiter les événemens, enserré qu’il était dans le cercle restreint des institutions démocratiques, des exigences de son parti et des vicissitudes électorales.

On pourrait comprendre, en effet, qu’en présence de l’attitude hostile d’une des grandes puissances européennes, une ou plusieurs des républiques américaines menacées dans leur indépendance, arrêtées dans leur développement, prêtassent une oreille complaisante aux ouvertures des États-Unis. Si, comme au temps de Monroë, l’Espagne, rêvant de reconquérir sa suprématie au-delà des mers, cherchait, avec l’appui, ou, à tout le moins, avec l’approbation tacite de d’Europe, à ressaisir une partie de son antique domaine, on pourrait admettre que le sentiment du danger jetât les républiques menacées dans les bras de la seule république en état de parler ou d’agir pour elles, qu’elles s’autorisassent, elles aussi, de la doctrine Monroë pour demander que l’Amérique appartînt aux Américains. Mais ni l’Europe n’est hostile, ni l’Espagne, non plus qu’aucune autre puissance, ne songe, croyons-nous, même en présence des événemens du Brésil, à intervenir dans les affaires du Nouveau-Monde. Et cette éventualité vînt-elle à se produire, ni la flotte ni l’armée américaine ne seraient d’un secours efficace. La force des États-Unis est toute morale ; elle est dans leur richesse, dans le chiffre de leur population, dans leur prospérité, dans leur commerce, dans leur isolement de l’Europe, dans leur vitalité puissante, non dans les coups qu’ils pourraient frapper, dans les vaisseaux et les hommes qu’ils pourraient mettre en ligne.

Ils le savent et on le sait. Ce que l’on montre aux délégués des trois Amériques, dans leur féerique et luxueuse excursion, ce ne sont ni des cuirassés ni des régimens ; d’appareil belliqueux il ne saurait être question. On leur montre des usines et des manufactures, des fermes et des docks, Chicago et ses elevators regorgeant de blé, des troupeaux, des machines, des voies ferrées, des forges et des mines, ce qui est et ce qui crée la richesse, ce qui suppléera la force, et, au besoin, permet de l’évoquer.

Tout cela, ils le voient et l’admirent ; le spectacle en vaut la peine. Le prodigieux effort qui a fait surgir des villes populeuses dans les solitudes de l’ouest, qui a créé 260,000 manufactures opérant avec un capital de 15 milliards, qui a mis en culture 300 millions d’hectares valant 55 milliards de francs ; qui, de 3 millions ½