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des choses accessoires qui forme le principal souci des âmes frivoles. La causeuse brillante subsistait, ingénieuse et fine, mais plus ironique qu’autrefois et cuirassée d’une philosophie à la fois revêche et compatissante, qui souvent se révélait par le contraste de ses paroles et de ses actions. De sa souffrance était né un sentiment de pitié qui, malgré quelques boutades de scepticisme, se manifestait en toute circonstance. Elle comprenait la misère, la recherchait et s’y empressait. La commotion qu’elle avait subie avait dissipé bien des ténèbres et lui avait fait apercevoir quel devait être le but d’une existence opulente. Dès lors elle aima les pauvres, et les pauvres s’en aperçurent.

Elle possédait la force par excellence des sociétés démocratiques : elle avait la fortune. La parole qu’Aristophane place dans la bouche de Chremyle, s’adressant à Plutus, est vraie aujourd’hui, plus encore peut-être qu’au temps de la 99e olympiade : « Tous les arts, toutes les inventions viennent de toi. Est-ce que tout n’émane pas de toi-même ? Tu es la seule et unique cause de tout, sache-le bien. » Dans notre siècle si troublé et qui n’en reste pas moins un des plus grands de l’histoire, au milieu de convulsions qui ne sont que les efforts d’un état nouveau cherchant à se formuler, alors que la naissance ne compte plus, parce que la série des ancêtres n’implique pas la capacité des descendans ; alors que l’intelligence est dédaignée, parce que le nombre dicte la loi ; alors que la vigueur physique n’a plus qu’une valeur insignifiante en présence des prodiges de la mécanique, une seule puissance subsiste et s’impose, à laquelle tout est soumis, les individus, les nations, les gouvernemens : c’est l’argent. Cette puissance, la duchesse de Galliera en a joui dans des proportions exceptionnelles. Non-seulement elle n’en a fait ni sot ni mauvais usage, mais elle l’a employée à donner satisfaction aux instincts les plus élevés d’un cœur ardent au bien. Que ceci soit dit à sa louange perpétuelle.

Ses bonnes œuvres, dont nul alors ne recevait la confidence, n’empiétaient en rien sur ce que l’on pourrait appeler ses devoirs de monde. Choyée par la haute société de Paris, appartenant à ce groupe un peu exclusif qui n’avait pas encore été à la fois entamé et renouvelé par plusieurs commotions politiques, elle tenait à honneur, comme disent les bonnes gens, de rendre les politesses qu’elle recevait et d’avoir un salon hospitalier sans excès où « les célébrités du jour » se pourraient rencontrer avec la compagnie un peu restreinte qui, des privilèges d’autrefois, n’a conservé que les préjugés. Elle était libérale, comme l’on disait alors ; mais j’imagine que son libéralisme ne franchissait pas certaines limites et qu’il eût regimbé si on lui eût parlé de la liberté de la presse, du droit