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de réunion et du suffrage universel. Ce libéralisme, du reste, dont elle faisait un peu parade, ne l’empêchait point d’être très aristocrate au sens vrai du mot ; malgré sa bienveillance, qui était sincère, elle ne parvenait pas toujours à émousser une pointe de hauteur qui ne blessait pas, mais qui apparaissait dans une phrase échappée à la chaleur de la conversation ou dans une attitude mal surveillée.

Après la révolution de juillet 1830 qui divisa la société parisienne en deux camps ennemis où les Étéocles de la légitimité et les Polynices du juste milieu échangeaient plus que des invectives, le faubourg Saint-Germain avait fermé ses hôtels ; le faubourg Saint-Honoré entre-bâillait ses portes et ne les laissait franchir qu’après que l’on eut montré patte blanche. La Chaussée-d’Antin eut un instant d’illusion et se crut appelée à l’honneur de se substituer à toutes les aristocraties ; les financiers avaient des grades dans la garde nationale, ils étaient invités chez le roi, et leurs femmes s’imaginaient avoir ressuscité les marquises de la cour de Louis XV, parce qu’elles jetaient leurs cotillons par-dessus les moulins. Cela ne dura pas et ne pouvait durer. Cette époque fut très singulière ; il serait intéressant de l’étudier, car elle mérite une histoire anecdotique ; elle n’a pas eu son Tallemant des Réaux, c’est regrettable ; mais il n’est peut-être pas trop tard pour le susciter.

Il n’est pas dans la nature française, la plus sociable qui soit au monde, de s’isoler et de bouder contre ses instincts. Malgré qu’on en eût et à travers des difficultés de convenances souvent pénibles, on se rechercha, on se réunit et l’art de la conversation, auquel on excellait alors, reconquit toute son élégance. On laissa les gens d’argent à la déception de leur tentative avortée, des groupes se formèrent où l’on vit briller des hommes dont la célébrité n’est pas éteinte et, comme l’on dit, les salons se rouvrirent : celui de la duchesse de Galliera, Française par ses habitudes, étrangère par sa naissance, offrait, grâce à cette double qualité, des conditions d’impartialité que nul ne dédaigna. C’était, en quelque sorte, un terrain neutre sur lequel on se rencontrait sans préjudice pour la bonne tenue de soi-même. Des gens fort bien nés et de façons correctes, mais d’opinions adverses, se retrouvaient, non sans plaisir, dans les appartemens où la duchesse de Galliera savait, à force de bonne grâce et d’entregent, faire régner une tolérance courtoise. Ce n’était pas toujours facile, et à un certain moment sa tâche devint ardue. Le rapide dénoûment de l’échauffourée de la Vendée, l’arrestation de la duchesse de Berry, vendue par Deutz, son internement à la citadelle de Blaye, où elle se dépitait sous la surveillance du général de brigade Bugeaud et du lieutenant Le