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Les femmes qui ont subi ces désastres, qui ont vu disparaître leurs maigres revenus, que le souvenir et les regrets leur montrent comme une véritable « opulence, » ces femmes sont inconnaissables dans les asiles où elles ont trouvé l’abri, le pain quotidien et les soins en cas de maladie. Elles s’isolent volontiers loin de leurs compagnes et, si elles s’en rapprochent, on les distingue à leurs faux chignons, à leurs talons élevés et même à ces appendices dont la mode déforme les toilettes féminines. C’est tout ce qu’elles ont sauvé du naufrage, elles y tiennent et s’en parent comme d’un insigne de leur supériorité sociale, comme d’une protestation contre l’inclémence du sort. Plusieurs d’entre elles n’ont pas eu le courage ou l’esprit de se plier à leur destinée nouvelle ; elles ont de la hauteur et ne savent point dissimuler le dédain que leur inspire « la vilaine compagnie » avec laquelle la règle les contraint de vivre. Volontiers elles disent : « Une femme comme moi avec de telles gens ! » Elles croient témoigner ainsi de leurs bonnes manières et ne font acte que de sottise. On s’en raille ; on les surnomme : la marquise, ou Mme Pimbêche ; on se tait lorsqu’elles approchent, et dans la salle commune on ne leur fait place qu’en rechignant. Elles s’ennuient, elles se dépitent et ne s’aperçoivent pas qu’elles se sont elles-mêmes rendu la vie insupportable. On les sermonne, on les rappelle à l’indulgence, peine perdue ; la vanité domine et les maintient dans leur mauvaise attitude : ce qui fait que l’on ne peut guérir les gens de leurs défauts, c’est qu’ils ne les soupçonnent même pas. Pour ces pauvres créatures qui vivent de l’amertume de leurs souvenirs, qui se croient pétries d’une autre pâte que celle du commun des mortels, le devoir est tout tracé, et en l’accomplissant elles allégeraient leurs soucis. Si elles se sentent ou se croient supérieures aux autres pensionnaires, qu’elles en deviennent les amies, les confidentes et les conseils ; qu’elles leur apprennent à bénir la mémoire des bienfaiteurs qui leur ont assuré la tranquillité des derniers jours, qu’elles leur enseignent la reconnaissance qui est une vertu rare, souvent défaillante et qu’il ne faut jamais laisser péricliter ; en un mot, qu’elles soient les tutrices des vieux enfans auxquels le hasard les a mêlées ; elles s’en trouveront bien et porteront la vie avec plus de légèreté : consoler le malheur d’autrui, c’est diminuer le poids de ses propres infortunes.

Comme je passais dans un de ces larges couloirs baignés de lumière qui servent de dégagement à toutes les salles de l’hospice Ferrari, j’ai rencontré les hommes, « les bons petits vieux ; » ils venaient de terminer leur repas et sortaient de la salle à manger. Ils ne sont point décrépits ; plusieurs ont l’allure encore verte :