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relative à l’abbé Carron, émigré à Londres en 1792. Il quêtait pour les malheureux qu’il nourrissait à l’aide des aumônes recueillies par lui. Un homme, impatienté de son insistance, le souffleta ; il répondit : « Le soufflet est pour moi, mais que me donnerez-vous pour mes pauvres ? »

Si bien des frères, qui n’avaient qu’à frapper à la porte de la maison Galliera pour y être admis, s’en sont éloignés, c’est qu’ils avaient trouvé la retraite dans les établissemens mêmes où une partie de leur existence s’était écoulée ; ils y avaient leurs relations et leurs habitudes, si chères aux vieillards. Ils auraient cru s’expatrier en quittant les lieux où ils étaient accoutumés à vivre, où chacun les connaissait, où sur chaque seuil, lorsqu’ils passent dans la rue, ils sont salués par ceux dont ils ont été les maîtres, dont ils ont élevé les enfans. C’est pour eux une sorte de famille qu’ils n’ont pu se résoudre à abandonner, indifférens aux splendeurs qu’on leur promettait et attachés par mille fibres intimes au pays, — ville ou village, — qu’ils aiment à cause du bien qu’ils y ont fait. Pour beaucoup sans doute qui jamais n’ont vécu que dans des milieux restreints, le voisinage de Paris, — de la Babylone moderne où rugit la bête de l’Apocalypse, — a été un motif de refus. Erreur naturelle à des âmes timorées, mais erreur ; solitude ou multitude, c’est tout un pour le sage ; à Paris comme au désert, on peut s’absorber en soi-même et s’abîmer dans la contemplation des rêves intérieurs.

Je suis entré dans plusieurs cellules, qui sont des chambres confortablement meublées ; le lit, une armoire, un prie-Dieu, une table et deux chaises ; nulle part je ne remarque un souvenir de famille ; le lien est-il si relâché qu’il est rompu ? Chaque chambre, amplement éclairée, est munie d’une cheminée qui peut donner aux yeux la joie des flammes brillantes, mais dont la chaleur ne doit guère augmenter celle que la maison reçoit des quatre calorifères qui la chauffent pendant le temps des froids. Contre la muraille d’une des cellules s’étalent des palmes, — de vraies palmes de palmiers, — qui, vers les solennités de Pâques, ont été envoyées par quelques frères habitant les pays du soleil ; dans une autre chambre, je trouve un des vieux pensionnaires occupé à peindre aux couleurs d’aquarelle, des lettres, des inscriptions explicatives destinées à être placées dans différentes parties de la maison. C’est le frère enlumineur du moyen âge modifié selon les tendances pratiques de l’esprit moderne ; jadis il eût peint le mariage mystique de Catherine ou l’ensevelissement de Marie l’Egyptienne ; aujourd’hui, il dessine avec correction et colorie avec goût les étiquettes réservées à la pharmacie et au vestiaire. Les chambres de l’infirmerie sont