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elle riposta : « Depuis que je suis au monde, j’ai vécu dans des palais, je trouve bon que les pauvres en aient un, et j’ai plaisir à le leur offrir. » Lorsqu’elle allait au bal, elle se parait d’émeraudes historiques, et portait un collier de perles merveilleuses. Cette coquetterie de la richesse, elle l’a déployée dans sa bienfaisance. Sa main, qui jamais n’avait été fermée aux malheureux, elle l’a ouverte plus large encore quand elle a préparé la demeure qu’elle leur destinait. Elle a été à la charité comme à une fête ; avec tous ses bijoux. Nul sacrifice ne lui a paru trop onéreux pour donner à ses œuvres de compassion une splendeur incomparable. Elle a voulu faire ce que nul n’avait fait avant elle. L’hospice Ferrari, la maison de retraite, l’orphelinat et leurs dépendances lui ont coûté quarante-sept millions ; j’écris le chiffre en toutes lettres, afin que l’on ne puisse croire à une erreur.

Quarante-sept millions ; la somme est de poids ; eût-il été possible de la mieux employer ? c’est là une question que je n’ai pas à discuter. La duchesse a fait de sa fortune l’usage qui lui a convenu. Le bien qu’elle a voulu faire reste acquis et dans une proportion hors de pair. Au courant de l’été dernier, j’avais eu l’honneur d’accompagner à Rastatt le père Joseph, qui voulait visiter la sépulture de nos pauvres soldats morts en captivité après la capitulation de Strasbourg. Il est président de « l’œuvre des tombes ; » en outre, il dirige trois orphelinats qui recueillent les enfans de la campagne. Pendant notre trajet, je lui parlais des fondations Galbera. Il leva le bras vers le ciel et s’écria : « 47 millions ! Dieu de bonté ! avec cela j’hébergerais et j’élèverais tous les orphelins de France ! » Soit ; chacun fait le bien comme il l’entend, l’important est d’en faire. Si l’exemple donné par la duchesse de Galliera incite l’émulation de quelque millionnaire, il ne sera que juste d’en rendre grâce à l’initiatrice.

En parcourant ces lieux d’hospitalité, de secours, d’enseignement et de compassion, je pensais, malgré moi, au vieux Ferrari, à ce pauvre Crésus qui mourut noyé dans son Pactole, et je me disais que si, dans le monde inconnu qu’il habite, il a pu voir l’emploi que sa petite-fille faisait du trésor qu’il avait commencé d’amasser, s’il a vu les malheureux qu’il repoussait comme un objet de dépense inutile, recherchés, soignés, choyés, par une femme portant son nom, il a dû lever les épaules avec dédain et reconnaître que, par alliance, du moins, sa race était bien dégénérée.


MAXIME DU CAMP.