Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La lettre de d’Argenson (la nature de la démarche une fois donnée), était rédigée avec assez d’art. — « Le roi, disait-il (car il faisait parler le roi lui-même), m’ordonne d’écrire à Votre Excellence au sujet de la situation dans laquelle le prince Edouard et ses partisans se trouvent, depuis l’avantage que les troupes d’Angleterre ont remporté sur eux, le 29 de ce mois. Toute l’Europe connaît les relations de parenté qui existent entre le roi et le prince Edouard. D’ailleurs ce jeune prince réunit en lui toutes les qualités qui doivent intéresser en sa faveur les puissances qui estiment et chérissent la valeur et le courage, et le roi d’Angleterre est lui-même un juge trop impartial et trop équitable du vrai mérite pour n’en pas faire cas lors même qu’il se trouve dans son ennemi. Le caractère de la nation britannique ne peut aussi qu’inspirer à tous les Anglais les mêmes sentimens d’admiration pour un compatriote aussi distingué par ses talens et par ses vertus héroïques… Cependant, monsieur, comme, dans les premiers momens d’une révolution, on porte quelquefois le ressentiment et la vengeance à des excès qui n’auraient pas lieu dans des conjonctures plus tranquilles, le roi doit prévenir à cet égard, autant qu’il dépendra de lui, le dangereux effet de toute résolution trop sévère que Sa Majesté britannique prendra. C’est dans une vue aussi juste et aussi décente, que le roi m’a ordonné, monsieur, de demander à Votre Excellence de vouloir bien écrire au ministère anglais et de lui représenter, avec toute la force et l’onction possibles, les inconvéniens qui résulteraient infailliblement de toute entreprise violente contre le prince Edouard. Si, contre toute espérance, on attentait ou à la liberté du prince Edouard ou à la vie de ses amis et de ses partisans, il est aisé de prévoir quel esprit d’animosité et de fureur pourrait être la suite funeste d’une pareille rigueur, et combien d’innocens deviendraient peut-être de part et d’autre, jusqu’à la fin de cette guerre, les tristes victimes d’une violence qui ne ferait qu’aigrir et irriter le mal et qui, assurément, n’édifierait pas l’Europe… Le roi désire très sincèrement que le roi d’Angleterre ne lui donne à suivre que des exemples d’humanité, de douceur et de grandeur d’âme. »

Ces dernières paroles, en laissant entrevoir l’éventualité d’une représaille, relevaient le ton de la supplique et sauvaient la dignité royale. C’est sans doute de crainte de pécher par ce défaut d’humilité que le bonhomme Van Hoey (c’est ainsi que d’Argenson lui-même l’appelle) n’en laissa rien subsister dans sa lettre d’envoi, dont il fit (c’est encore d’Argenson qui parle) une véritable paraphrase du Pater noster.

« Puissè-je, milord, disait l’excellent homme, posséder toute l’éloquence de la terre ; puissè-je être à portée pour employer