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efficacement tous les momens de ma vie à faire comprendre aux hommes que d’agir envers les autres comme nous souhaitons que les autres agissent envers nous, fait le bien suprême des États, des nations, des sujets et de chaque homme. Mais c’est un devoir que la Providence vous a imposé, en vous élevant si haut et par tant de talens qu’elle a réunis en vous : puisse la persuasion couler de vos lèvres comme du miel, et personne ne doutera plus qu’on n’est heureux qu’autant qu’on fait le bonheur des autres… Votre Excellence sait que le courage est appelé par excellence vertu, parce que c’est l’amour pour le bien qui le donne seul, et que ce sont l’équité, la modération et la bonté qui en règlent toutes les actions. C’est ainsi que le vrai héros rend ses victoires salutaires aux vaincus mêmes ; c’est ainsi qu’il se dresse des trophées immortels pour avoir triomphé de la vengeance et de la colère, passions si naturelles à l’homme et si difficiles à vaincre : c’est ainsi que la clémence a été estimée, par les sages de tous les temps, la meilleure, la plus magnanime, la plus utile et la plus salutaire de toutes les vertus royales… Connaître la vertu, vous le savez, milord, et être épris de ses célestes beautés n’est qu’une seule et même chose. » Suivaient des vœux, ou plutôt une prière adressée à Dieu pour les deux puissans rois de France et d’Angleterre. — « Puissent-ils jouir encore longtemps sur la terre de la juste reconnaissance du genre humain ! Puissent ces grands rois s’assurer ainsi de plus en plus la félicité éternelle ! »

En toute autre circonstance, une pièce écrite sur ce ton, si peu conforme aux habitudes diplomatiques, aurait fait sourire. Mais à Londres, dans l’état d’exaltation que laisse toujours une grande crainte à laquelle on vient d’échapper, personne n’était en humeur de rire. Aussi ce fut un cri d’indignation, factice ou sincère, qui s’éleva contre la prétention de la France à dicter des conseils au gouvernement qu’elle venait d’essayer de renverser. La lettre de d’Argenson, insérée dans les gazettes, fut commentée avec fureur dans des réunions publiques. Un pair d’Angleterre, lord Cholmondelly, proposa sérieusement de la faire brûler par la main du bourreau. « Les Anglais traiteront toujours, les Français, disait-il, avec le mépris que des esclaves méritent. » — Quant au pauvre Van Hoey, il n’échappa à une demande de révocation, qui était déjà adressée contre lui aux États généraux, qu’à la condition de recevoir une verte semonce du duc de Newcastle et d’y répondre par une humble lettre d’excuses. Encore n’évita-t-il cette mesure de rigueur que parce que les envoyés extraordinaires hollandais, ses collègues, firent savoir que son rappel porterait la plus sérieuse atteinte à la situation ministérielle déjà menacée de d’Argenson, « accusé, disaient-ils, d’avoir fait une grande sottise. Or,