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dont la disposition ne serait entière entre ses mains que si elle était attaquée chez elle et si on faisait mine de vouloir passer sur le corps des vassaux pour atteindre le suzerain. Mais l’effet en serait nul, au contraire, si c’était le chef lui-même qui troublait la paix commune pour donner cours à ses ressentimens. Armer le contingent impérial pour la défense du sol germanique, à la rigueur c’était possible : mais l’en faire sortir pour suivre une représaille agressive, c’eût été un effort surhumain. Marie-Thérèse elle-même le sentait si bien qu’en faisant rendre à son époux un décret de commission pour soumettre à la diète de Ratisbonne les mesures militaires qu’elle désirait, elle avait eu soin de faire spécifier que l’unique objet à l’ordre du jour était les précautions réclamées pour la sécurité de l’empire.

Il était donc essentiel (d’Argenson n’eut pas de peine à le démontrer) d’écarter toute apparence et tout prétexte de nature à accréditer la crainte d’une nouvelle invasion française et d’effacer même, s’il était possible, le souvenir des invasions précédentes. À ce point de vue la réunion d’une grande armée prenant une attitude agressive, et commandée par un prince du sang, allait directement contre le but, et servirait au contraire de texte tout préparé aux prédications patriotiques de la chancellerie impériale. Ce langage parfaitement sensé eut le bonheur (dont les propositions de d’Argenson ne jouissaient plus que rarement dans le conseil) d’être écouté et compris, sans doute parce qu’il fut appuyé par le concours de Saxe et de Belle-Isle, tous deux parlant d’accord cette fois par exception. On permit au ministre de faire porter à la diète par le résident français, La Noue, des protestations formelles d’intentions pacifiques et de désintéressement absolu, et pour confirmer tout de suite les paroles par les faits, on l’autorisa à promettre l’évacuation de ce qu’on nommait l’Autriche antérieure. On désignait ainsi (je l’ai déjà dit) ces districts, bordant la rive du Haut-Rhin, qui faisaient partie du patrimoine de la maison d’Habsbourg et qui avaient été conquis naguère (on l’a vu) par Louis XV lui-même, après la prise de Fribourg. C’était le seul point du territoire de l’empire encore occupé par les armes françaises.

Ces sages précautions produisirent leur effet : la diète qui siégeait à Ratisbonne, désireuse avant tout de rester tranquille, se laissa aisément rassurer ou, pour mieux dire, endormir, et les incitations belliqueuses de Marie-Thérèse y trouvèrent peu d’écho. On mit en usage, pour éviter d’y répondre, les lenteurs interminables et les formalités sans nombre de toute procédure germanique. Il fut même bientôt évident que ces provocations, du moment où elles n’étaient pas efficaces, devenaient importunes. Car rien n’impatiente à la longue les gens timides et paresseux comme