Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les reproches qu’on adresse à leur indolence. Puis, du moment où il ne devait plus y avoir un soldat français sur le sol germanique, la plupart des griefs exploités par Marie-Thérèse pour exciter l’irritation populaire n’avaient plus d’objet. La situation même se retournait insensiblement. La veille, c’était Belle-Isle ou Maillebois qui, s’avançant en stationnant dans l’empire, soumettaient les populations aux rigueurs qu’entraînent tout passage et toute occupation militaires : maintenant c’étaient les troupes autrichiennes qui, ne pouvant gagner la Flandre sans traverser une série de petits états, devaient opérer partout des réquisitions de vivres ou de logemens imparfaitement soldées, et demeuraient responsables de tous les actes d’indiscipline d’une soldatesque en campagne. Le résultat fut que l’été arriva sans que, contrairement aux prévisions de Conti, l’Autriche eût à compter sur d’autres forces que les siennes et sans qu’il fût question de voir lever nulle part l’étendard impérial[1].

Rien pourtant n’était absolument décidé, et ce n’était qu’un repos, ou plutôt un répit toujours précaire, car si les demandes de Marie-Thérèse étaient éludées et ajournées, elles n’étaient pas formellement repoussées, et, pour ne pas la braver en face, des mesures dilatoires et conciliantes étaient prises, comme la nomination de son beau-frère Charles de Lorraine à la dignité de maréchal de l’empire et la désignation d’un lieu voisin de la frontière autrichienne, où le contingent impérial serait réuni, s’il y avait lieu de le convoquer. De son côté, l’agent français ne recevait en réponse à ses déclarations pacifiques aucun accusé de réception pleinement satisfaisant. La diète, en un mot, trouvait commode de jouir en fait des bienfaits de la neutralité sans contracter en droit l’engagement de la respecter : situation dangereuse, disait très justement Belle-Isle à d’Argenson, car l’Autriche restait maîtresse de se mouvoir à son gré dans l’empire, tandis que la France n’oserait plus y mettre le pied, et les cercles pourraient ainsi d’un jour à l’autre prendre l’offensive, sans qu’on se fût mis en garde d’avance par aucune précaution. Ainsi on pouvait toujours craindre qu’un incident imprévu, en enflammant les passions, ou en répandant une fausse alarme, ne vînt à entraîner à quelque coup de tête belliqueux les dispositions indécises d’une majorité flottante.

Or, c’était précisément à fixer par avance les incertitudes de cette majorité que d’Argenson s’était appliqué avec soin par des négociations bien suivies auprès des principaux états dont le vote pouvait influer sur les résolutions de l’assemblée fédérale, et c’était

  1. Journal de d’Argenson, t. IV, p. 405 et suiv. — Lanoue à Ratisbonne, à d’Argenson, janvier, juin, passim. (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.)