Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intendance française avaient la prétention de les fouiller pour y trouver la preuve des lâches intrigues dont ils étaient victimes Enfin, on allait jusqu’à dire que, quand les Autrichiens arriveraient, les Espagnols, usant de représailles à leur tour, au lieu de les combattre, se jetteraient dans leurs bras, pendant que, les Piémontais coupant nos communications avec la Méditerranée, l’armée française se verrait cernée et obligée de mettre bas les armes. Tout paraissait possible et tout à craindre. En un mot, dit un historien contemporain, une perfidie supposée faisait naître mille trahisons réelles.

Au milieu de ce trouble général, on retrouvait par instant quelqu’un de ces traits de vaillante gaîté française qui ont toujours éclairé les jours les plus sombres de notre histoire. Telle est l’anecdote du sergent Va-de-bon-cœur que rapportent toutes les chroniques du temps. Obligé d’évacuer rapidement la ville de Moncalvo pour répondre à l’appel de Maillebois, Chevert avait dû y laisser ses blessés et ses malades, en les recommandant à la clémence du vainqueur, qui, entrant dans la ville sans résistance, n’aurait eu aucune raison pour maltraiter des infortunés. Mais avant que les Piémontais eussent paru devant les remparts, un de ces pauvres abandonnés, qui portait le nom de guerre de Va-de-bon-cœur, se soulevant sur son grabat et se retournant vers ses compagnons : « Camarades, leur dit-il, est-ce que nous allons nous rendre sans souffrir au moins pour deux liards de siège ? » Et il leur fit comprendre que, moyennant quelques vieilles pièces de canon rouillées, mises en place sur les remparts, on pourrait faire un simulacre de défense qui leur donnerait droit aux conditions d’une capitulation honorable. Aussitôt dit, aussitôt fait, et quand le baron de Leutrum arriva aux portes de la ville, il fut reçu, à sa grande surprise, par une décharge d’artillerie qui mit quelques-uns de ses hommes hors de combat. Touché lui-même de ce trait d’énergie, il fit tout de suite offrir à ces défenseurs improvisés de leur accorder le traitement qui leur conviendrait. « Non, répondit Va-de-bon-cœur, nous ne nous rendrons pas que vous n’ayez fait une tranchée, ne fût-elle que de la longueur de ma pipe. » Leutrum se prêta à la plaisanterie, et après une heure de bombardement assez mollement opéré, il accorda aux assiégés une capitulation qui leur permettait de sortir avec les honneurs de la guerre. Le régiment des infirmes défila alors devant lui, chacun portant, en guise des armes qu’il n’aurait peut-être pas été en état de soutenir, quelque signe de sa maladie ou de sa blessure : celui-ci brandissant sa béquille, cet autre le bras en écharpe, quelques-uns montés sur les épaules de leurs camarades, et ce fut dans cet