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politique ; il eût osé mettre au jeu sa vie ou sa liberté, qu’il aurait peut-être gagné la partie. Soyons indulgens pour ses faiblesses ; elles nous ont épargné de grandes épreuves. Les coups de force et les luttes intestines n’étaient pas l’unique danger dont nous menaçait le triomphe d’Arabi-Pacha. « Boulanger, c’est Laguerre, » ai-je lu, un jour, en grosses lettres, sur le mur d’un salon princier. Ce calembour n’exprimait qu’une vérité ; non que le général et ses amis, les patriotes, il faut leur rendre cette justice, eussent, de propos délibéré, jeté la France dans la guerre ; mais la situation de l’Europe ne leur eût pas permis d’y échapper. Pour l’étranger, Boulanger était la revanche, un Déroulède à cheval. Le boulangisme ne s’expliquait que par le chauvinisme ; ses triomphes électoraux avaient resserré la triple alliance ; sa défaite a rassuré l’Europe. Cela seul l’eût rendue désirable. Républicains ou conservateurs, le péché de tous ceux qui ont poussé le général, c’est de n’avoir regardé qu’au dedans et à la réclame électorale ; c’est d’avoir oublié que, dans un pays mutilé et isolé, il est des parties qu’on ne joue point, parce que les frontières en sont l’enjeu.

Il faut le dire, à la décharge de leur conscience, — non de leur intelligence, — la plupart des conservateurs ne voyaient dans le général qu’un cheval de renfort, qu’ils comptaient dételer en haut de la côte. Déjà, lors des élections aux conseils-généraux, ils n’avaient pas hésité à le compromettre, en le présentant dans les bourgs pourris de l’opportunisme. S’ils ont arboré, eux aussi, la devise de révision, constituante, c’était moins comme mot d’ordre du général que comme enseigne électorale ; je ne dirai pas que l’enseigne fût bien choisie, elle était autant faite pour éloigner que pour attirer les gens paisibles. Il n’en est pas moins vrai que les conservateurs n’ont pas été seuls à l’employer, et que plusieurs n’avaient pas attendu, pour cela, l’éclosion du parti national. Les radicaux et nombre d’opportunistes leur en avaient donné l’exemple. La gauche, qui s’est passé ses petites révisions, avait mauvaise grâce à se voiler la face devant l’impudeur de la droite. Sans doute, il ne suffirait pas d’une révision constitutionnelle pour guérir les maux de la France. Le mal tient moins à la machine qu’aux mécaniciens. Le peuple a, malheureusement, peine à le comprendre ; pour avoir un bon gouvernement, il croit qu’il suffît d’une bonne machine gouvernementale : voilà près d’un siècle que les républicains le lui affirment.

Aux conservateurs, nous pardonnerions l’épithète de révisionnistes, s’ils n’avaient, tout comme les radicaux, réclamé une constituante. La constituante, voilà le méfait, car c’était le gâchis. Ici encore, cependant, il faut distinguer entre les intentions et les