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l’unique terrain sur lequel les partis se pussent donner la main, et, de la part des héritiers de nos rois, c’était la reconnaissance de la seule autorité demeurée debout en France, le suffrage universel. L’esprit de faction ne l’entend pas ainsi. Nombre de républicains se sont effarouchés de voir la monarchie se courber devant le suffrage populaire ; ils trouvent cela peu digne ; pour un peu, ils y verraient un empiétement sur leurs droits. A les en croire, les républicains seuls sont bienvenus à faire appel à la volonté nationale. Aux autres, enchaînés à un autre principe, cela est interdit.

Par une sorte de chassé-croisé des partis, à l’heure où les monarchistes, princes en tête, affirmaient solennellement qu’ils n’entendaient rien entreprendre sur les volontés de la France, des républicains, refaisant, à leur profit, un nouveau droit divin, affectaient de mettre la république au-dessus de la volonté nationale. Ils se vantaient de résister au suffrage universel, le jour où ils viendraient à en être abandonnés. Des hommes qui prétendent fonder tout le gouvernement sur le bon plaisir et sur les caprices du peuple ont l’inconséquence de marquer une limite au droit de la nation. Ils ne s’aperçoivent point que, à certaines heures, pareille prétention nous mènerait, tout droit, à la tyrannie ou à la guerre civile. La révolution nous a mis, bon gré, mal gré, sur le terrain de la volonté nationale ; elle nous y attache, elle nous y enferme. C’est la seule légitimité que puissent invoquer des gouvernemens électifs ; la contester, c’est, de la part de démocrates, s’insurger contre la souveraineté du peuple.

A l’inverse de certains républicains, les conservateurs de toute nuance sont d’accord pour se soumettre, lors même qu’ils les regrettent, aux décisions du suffrage universel. Non contens de reconnaître le droit de la nation, nombre de conservateurs n’ont pas craint d’aller au-devant des revendications démocratiques. Beaucoup ne redouteraient point de donner au pays une action plus directe sur son gouvernement. Ils se demandent si, en république, on ne pourrait pas trouver, dans le peuple, un contrepoids à l’omnipotence parlementaire et au despotisme des majorités. C’est ainsi que plusieurs n’ont pas craint de se déclarer partisans du référendum et de la sanction populaire, à la manière suisse. Grand sujet d’irritation pour certains de nos démocrates ! Maîtres du parlement, ils n’entendent pas qu’on mette une borne à la toute-puissance des chambres. Le référendum leur est odieux ; c’est, pourtant, l’institution démocratique et républicaine par excellence. Pour cesser de l’être, il ne suffit pas qu’elle ait trouvé place sur le programme boulangiste, ou qu’elle ait un air de parenté avec l’appel au peuple cher aux bonapartistes. Une partie de la gauche prétend attribuer