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grand nombre, il y a une pierre de touche : le cléricalisme ; et conduisez votre femme ou vos enfans à la messe, vous serez un clérical.

Demandez-le à qui connaît la province : il n’est pas aisé aux hommes d’une certaine situation de famille ou de fortune, aux fils ou petits-fils de hauts fonctionnaires de l’empire ou de la monarchie, de se faire accepter comme républicains. Ils gardent au front une tache originelle qu’ont peine à laver ceux qui répugnent aux initiations maçonniques. Les chrétiens du IVe siècle se préparaient longtemps à la purification baptismale ; on restait, parfois, des années avant de revêtir la robe blanche du baptême. Les catéchumènes, comme les pénitens, n’étaient pas admis à l’église ; ils se tenaient, humblement, à la porte, sous le narthex. C’est à peu près de cette façon que la plupart des républicains entendent traiter les conservateurs qui viennent à la république. On exige des convertis des marques de repentir ; pour un peu, comme autrefois les renégats chrétiens en pays turc, on les inviterait à fouler la croix ou à cracher sur le crucifix. C’est là l’unique moyen de se faire recevoir à bras ouverts. A tout le moins, qui se refuse à une humiliante abjuration doit se soumettre à un stage. J’ai connu des hommes fort en peine de se faire décerner un brevet de républicanisme. « Que faut-il donc pour prouver qu’on est républicain ? disait, dans mon département, un candidat au Sénat. Faut-il tuer père et mère ? »

Quand, à l’exemple de quelques-uns de ses membres, la droite, en corps, ferait une déclaration d’allégeance à la république, les feuilles de gauche, loin de lui en savoir gré, l’accuseraient d’arborer un drapeau qui n’est pas le sien. Déjà, en pareille occurrence, nous avons entendu préférer hautement un adversaire loyal, lisez un monarchiste résolu, à un réactionnaire déguisé, c’est-à-dire à un conservateur constitutionnel. Quand la droite illuminerait le 14 juillet et déciderait de ne se réunir qu’autour du buste de la république, on ne l’en soupçonnerait pas moins de conspirer pour une restauration ; des hommes qui se croient honnêtes se permettent bien de l’accuser de vouloir rétablir l’ancien régime. Nous savons, par expérience, que le titre de républicain, voire de républicain de la veille, ne met à l’abri ni des suspicions, ni des injures. Les conservateurs venus tardivement à la république ne sauraient prétendre être mieux traités que les républicains libéraux, qui en ont été les parrains. Il y a, au sénat, un homme qui, par l’élévation de son esprit et l’étendue de ses connaissances, par la dignité de sa vie et sa fidélité à ses convictions, honore la politique. Il a toujours servi la liberté et la république, se refusant à les séparer ; il leur a