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La lisière qui côtoie la Picardie, la Normandie et la Bretagne est garnie de beaux ports, c’est le pays de Galles et de Cornouailles, ennemis mortels du reste de l’Angleterre, parlant notre langue, le breton bretonnant ; cette partie convient à la France. L’autre côté de la Tamise côtoie la Flandre, la Hollande et la Zélande et convient à l’empereur. Donnez au roi d’Ecosse le Nord qui lui a appartenu ; chacun reviendra à l’obéissance du saint-père ; « ne laissez pas tourner le dos à cette belle occasion dont on dit que l’on la trouve après chauve par derrière. »

Les idées d’invasion et de partage d’un pays paraissaient simples et naturelles à cette époque de guerres continuelles où les souvenirs de Guillaume le Conquérant étaient entretenus par les romans de chevalerie. On n’était pas loin du temps où les Anglais possédaient encore une partie de la France ; les Turcs venant d’Asie s’avançaient à travers les plus belles provinces de l’Europe ; Charles-Quint avait deux fois envahi la France ; à plusieurs reprises, les flottes françaises avaient fait des descentes en Angleterre, et on prêtait à François Ier la pensée d’occuper un port ou une ville de ce littoral pour obliger les Anglais à lâcher prise à Calais. L’idée de reprendre Calais hantait les esprits ; le pied de l’étranger posé sur le sol de la patrie froissait tous les sentimens et lorsque vingt ans plus tard François de Guise jetait dans la mer les derniers Anglais, l’enthousiasme fut général. Les Anglais, de leur côté, avaient fréquemment ravagé nos belles provinces de Guyenne, de Normandie et d’Artois. Après Pavie, les ministres anglais avaient proposé que Henri montât sur le trône de France et que Charles reprît les provinces sur lesquelles il prétendait des droits, ce qui fut repoussé par l’empereur ; mais le démembrement de la France fit l’objet de plusieurs traités entre ces deux souverains. Castillon avait donc pu élaborer dans sa tête un projet de descente et de conquête, mais la réalisation en était devenue à peu près impossible parce que, depuis que la France possédait la Bretagne, les Anglais avaient créé une puissante marine, comprenant que cette vaste presqu’île dans la même main que la Normandie était pour eux un danger ; Henri pouvait encore accroître ses forces en réquisitionnant les navires de ses sujets, il avait aussi remis en usage les anciens statuts qui obligeaient chaque citoyen à posséder un arc et à aller s’exercer chaque semaine au tir public de la paroisse.

Au commencement de notre siècle, d’immenses préparatifs furent faits pour envahir l’Angleterre, et quoique dirigés, par le génie du plus grand homme de guerre, ils n’obtinrent, aucun résultat et servirent seulement à démontrer comme, au temps d’Henri que la conception était chimérique, parce qu’il n’était pas possible