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dans Rabelais, d’avoir attaqué son maître ; il demandait à être confronté avec lui et à « l’ouyr barbe à barbe. »

Une punition au pain et à l’eau semblait bien légère pour une attaque au roi qui avait fait pendre un à un tous les religieux d’un couvent parce qu’ils ne fléchissaient pas dans leur foi, qui faisait pendre les catholiques et brûler les protestans ! Tel Caligula, faisant mourir ceux qui pleuraient sa sœur morte et ceux qui ne la pleuraient pas. Mais le connétable ne céda pas aux injonctions de l’ambassadeur étranger ; il chargea Castillon de répéter au ministre anglais la réponse qu’il avait faite à son agent : que les princes ne doivent pas avoir la tête rompue de menues disputes qui sont entre les nations, qu’il faut les entretenir de choses importantes pouvant consolider l’amitié et l’alliance ; que ce n’est pas dans les rues et carrefours qu’un ambassadeur doit aller chercher des nouvelles et que, si ceux de France faisaient un tel office, on ne prendrait pas la peine de lire leurs lettres. Castillon nous apprend que l’Angleterre dut se contenter de cette réponse ferme et digne. C’est la même fermeté qui inspirait les dépêches du connétable aux ambassadeurs pour soutenir les droits de la France ; celle qu’il adressa à l’évêque d’Auxerre pour une question de préséance à Rome semble avoir servi de modèle à celle que, dans une circonstance pareille, fit écrire Louis XIV.

Une des dépêches de Castillon nous conserve les vestiges d’un passé tout à fait effacé. Il annonce au connétable que Georges Douglas, l’un des gentilshommes du roi d’Angleterre, se disant diffamé par l’abbé d’Arbroath, ambassadeur du roi d’Ecosse, s’en allait en bien bon équipage demander au roi de France de lui accorder le combat contre quelque gentilhomme de la suite d’Arbroath qui maintiendrait ses paroles, et le roi d’Angleterre écrit de son côté à son bon frère pour obtenir protection en faveur de Georges Douglas, qui est un vrai et honnête gentilhomme. C’étaient les mœurs du temps : les souverains s’envoyaient des cartels, les seigneurs cherchaient des aventures et, quand ils ne pouvaient se battre, ils se livraient à des joutes desquelles un envoyé du grand-seigneur disait : « Si c’est tout de bon, ce n’est pas assez ; si ce n’est qu’un jeu, c’est trop. » Cependant peu à peu les rois, qui appréciaient ce que valait le sang de leurs sujets, réagirent contre ces mœurs et défendirent les duels ; le plus grand capitaine du XVIe siècle, François de Guise, frère de Marie de Lorraine, les punissait des peines sévères que renouvela Richelieu.