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puissances qui n’étaient pas dérivées du pouvoir royal, il y avait des autorités et des magistratures qui relevaient d’elles-mêmes, il y avait des fonctions qui étaient des propriétés. La France fut longtemps « hérissée, » elle fut toujours pleine, « non-seulement d’ordres, de seigneuries, de communes, mais d’une foule de corporations avec leurs magistratures domestiques. Le droit est partout… C’étaient là comme des faisceaux puissans de droits privés, vraies républiques dans la monarchie. Ces institutions ne partageaient pas, il est vrai, la souveraineté ; mais elles lui opposaient partout des limites que l’honneur défendait avec opiniâtreté. » Tout ceci a disparu. La Révolution, qui a cru fonder la liberté, n’a fait que déplacer la souveraineté, tout en la faisant, de presque absolue qu’elle devenait, absolue sans aucune restriction. « La Révolution n’a laissé debout que des individus. » Actuellement, en 1816, nous sommes centralisés, ce qui veut dire isolés ; isolés les uns par rapport aux autres, centralisés par la prise directe et sans intermédiaire de l’état sur chacun. « La servitude publique,.. voilà l’héritage que Louis XVIII a recueilli » de ceux dont il n’était pas l’héritier. Nous ne sommes pas des citoyens, nous le sommes moins qu’avant l’invention de ce mot, « nous sommes des administrés. » La souveraineté nous submerge ; nous sommes noyés dans la souveraineté ; « ce sont les délégués de la souveraineté qui nettoient nos rues et qui allument nos réverbères. »

Dans cet état, nous sommes sur un chemin qui mène de l’ancienne souveraineté presque absolue à une nouvelle souveraineté qui sera littéralement écrasante. Nous sommes tout préparés à tomber sous le joug de l’absolue souveraineté populaire. Nous l’avons subie à l’état d’accident ; nous allons la subir demain à l’état régulier et permanent. Encore quelques années et c’est chose faite, encore quelques années et « la démocratie coule à pleins bords. » — Que faire pour empêcher cette souveraineté future et prochaine de s’établir ? D’abord garder la légitimité. Certes, il le faut. Dans cette France égalisée et centralisée, des choses de droit, et non de force, qui étaient si nombreuses autrefois, c’est la seule qui reste ; et, sans doute, du moment que c’est la seule qui reste, on peut me dire que c’est comme s’il n’en restait pas, un droit, quand il devient unique et n’est plus limité par aucun autre, devenant une simple force oppressive. Mais encore est-il que c’est un droit, en ce sens, si vous voulez, que c’en a été un, qu’il garde ce caractère, au moins honorable, vénérable et peut-être de bon exemple ; et qu’à ce titre il vaut mieux qu’une force pure et simple, qui n’aurait pas même ceci d’un droit, de l’avoir été. — De plus, puisque rien ne reste des droits anciens, il en faut créer. Il faut que certaines choses en France soient établies à l’état d’institutions