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gouvernement représentatif, suivant sa propre logique, doit se transformer en gouvernement direct, c’est-à-dire ne plus être. Mais cette doctrine et cette logique n’est pas la nôtre. Dans la doctrine de la charte, il n’y a pas de représentant des droits du peuple. Les droits du peuple sont reconnus, ils sont proclamés, ils sont respectés, ils ne sont pas représentés. Les députés ne sont pas représentans du peuple, ils sont dépositaires des intérêts du peuple ; ils ne sont pas mandataires du peuple, ils sont mandataires de la charte. C’est la charte qui les crée, qui les fait, comme elle maintient le roi, comme elle fait les pairs, comme elle fait les magistrats, comme elle fait les électeurs, et, pour la même raison, — parce qu’elle en a besoin. Elle a besoin que les divers, et très divers, intérêts de la nation soient gardés et défendus. La nation a intérêt à une certaine continuité et unité traditionnelle dans son existence : pour cet intérêt, la charte maintient le roi. Les hautes classes, pensantes, intellectuelles, à grandes entreprises, à longs desseins, ont des intérêts particuliers qu’il est d’utilité générale qui soient protégés : pour elles la charte crée les pairs. Le peuple a ses intérêts, ses besoins et ses souffrances : pour lui la charte fait les députés. Elle ne les fait pas directement, il est vrai ; elle nomme des électeurs pour les faire. Mais les électeurs ne sont pas autre chose que des fonctionnaires de la charte. C’est bien évident. Si les députés étaient représentans du peuple, c’est le peuple qui devrait les nommer. Le suffrage universel serait rationnellement inévitable. La charte ne l’admet pas. Elle dit : « Les citoyens dans telles conditions de cens nommeront les députés. » C’est dire : « Je nomme électeurs les citoyens tels et tels. Je leur suppose une aptitude, et je leur donne un office. » L’électorat est une fonction. — Et la députation en est une autre, comme la pairie, comme la royauté. Un gouvernement composé de trois fonctions gouvernementales est organisé par la charte pour garder, protéger et défendre les différens intérêts de la nation. La chambre des députés est une de ces trois fonctions, et rien de plus. Quand elle prétend prendre le gouvernement, elle renverse la constitution tout entière, d’abord ; de plus, des trois grands intérêts du pays elle en ruine deux.

Donc, avant tout, tâchons d’établir fermement ce principe que le gouvernement du pays par les députés est inconstitutionnel, est irrationnel, et est funeste. — Ensuite opposons aux empiétemens du « gouvernement parlementaire » des barrières autres que des raisonnemens.

C’est une « souveraineté » qui nous menace. Traitons-la comme nous faisons toute « souveraineté. » Disons d’abord qu’il n’y a pas de souveraineté ; ensuite brisons celle-ci comme nous faisons les